L’Ouganda du Nord traverse une importante phase de transition. La fin des hostilités entre l’Armée de résistance du Seigneur et le gouvernement ougandais en 2006 a ouvert la voie au retour de centaines de milliers de PDI. Les obstacles au traitement du VIH dans la phase post-conflit sont presque aussi redoutables que ceux qui s’élevaient pendant le conflit.
Une étude menée par le Ministère de la Santé ougandais en 2004-2005 indiquait un taux de séroprévalence du VIH de 8,2 % pour l’Ouganda du Nord. Parmi l’échantillon de population étudié, il semble que l’Ouganda du Nord présente le taux d’incidence le plus élevé du pays(1), bien que peu de données fiables soient disponibles pour les régions rurales et les camps et que la validité des données soit contestée. En 2007, St Mary’s Hospital Lacor, un site de surveillance, a signalé un taux de séroprévalence anténatale de 9 %. Des données récentes d’autres établissements de santé indiquent une augmentation de la prévalence au cours des trois dernières années.
La thérapie antirétrovirale (TAR) est aujourd’hui promue auprès des communautés touchées par les conflits et considérée comme réalisable par les institutions gouvernementales et non gouvernementales de l’Ouganda du Nord et internationalement, y compris Médecins Sans Frontières (MSF)etUNHCR. Toutefois, il est important de préparer la transition post-conflit et le retour des personnes déplacées afin de garantir la continuité et la pérennité des programmes de traitement.
Des recherches menées en Ouganda du Nord entre 2006 et 2009 sur les programmes TAR mis en place par l’Organisation ougandaise d’aide aux malades du sida (TASO)(2), St Mary’s Hospital Lacor(3) et le Ministère de la Santé ougandais indiquent que, pour les personnes qui ont pu en bénéficier, le TAR aide à faire de l’infection une maladie chronique et non plus une maladie terminale. Les antirétroviraux, associés aux traitements des infections opportunistes, ont permis d’améliorer fortement la santé des personnes séropositives. De surcroît, la fréquence et l’intensité de la stigmatisation, en particulier lorsqu’elle est associée à la peur de la transmission, ont diminué. Le TAR a sauvé des milliers de vies et créé de nouvelles possibilités d’amitié, de vie de famille et de productivité.
La fourniture de traitements antirétroviraux a débuté en 2002 à Gulu, le principal centre urbain de la région, et a été étendue à d’autres villes dès 2004, puis à certaines zones rurales et certains camps de PDI en 2005. En mars 2010, dans les districts anciennement touchés par les conflits, plus 220 000 personnes séropositives bénéficiaient du TAR, principalement gratuitement ou à faible coût.(4) Des taux élevés d’adhérence au traitement ont été prouvés pour les programmes de TASO et de St Mary’s Lacor, grâce au recours à des stratégies communautaires.
Sur la période de retour, les données n’indiquent aucun impact important sur l’adhérence au traitement pour les programmes de TASO et St Mary’s, bien que les travailleurs sur le terrain affirment que la rareté de la nourriture influence l’adhérence de certains patients. Un impact indéniable a toutefois été constaté sur la rétention des patients et les rendez-vous manqués, exerçant des pressions sur les ressources. Les services de santé nationaux de l’Ouganda du Nord manquent principalement de données sur l’adhérence et la rétention des patients, mais les entretiens semblent indiquer qu’ils souffrent de problèmes semblables.
Incertitudes pour les patients et les prestataires
Beaucoup de personnes séropositives sont anxieuses vis-à-vis de la période de retour et choisissent de rester dans les camps ou les villes aussi longtemps que possible. Le retour s’accompagne souvent de nombreuses difficultés : reconstruction des logements familiaux, reprise l’agriculture, retour vers des régions où la prestation de services est insuffisante et retrait de l’assistance alimentaire. Comme nous l’a expliqué en 2008 Nighty Acheng, une femme séropositive du camp de Pabo : « Lorsque nous retournons au village nous n’avons plus la force de creuser. Et il y a eu des cas où certains d’entre nous ont été négligés par leur famille. »
Le TAR demande une adhérence rigoureuse tout au long de la vie. Les interruptions de traitement non supervisées peuvent entraîner l’échec du traitement, de même que l’apparition de souches virales résistantes aux médicaments. Dans les camps, il était relativement aisé de contrôler l’adhérence. Il était possible d’être en contact avec de nombreux individus, et même pendant les conflits la fourniture de traitement était rarement interrompue. Des groupes de soutien avaient également été établis dans les camps et constituaient des réseaux d’assistance.
Mais les mouvements de retour, et la réouverture des routes commerciales, ont fortement compliqué la continuité du traitement. La dispersion des populations et l’augmentation de la distance entre les patients et leur centre de soins le plus proche ont créé des difficultés, aussi bien pour les patients que pour les prestataires de soins. Certains individus sont si malades qu’ils ne peuvent aller chercher leurs médicaments et, s’ils ont perdu toute leur famille, personne ne peut aller les chercher à leur place. Tous les programmes ont dû faire face au problème des patients qui manquent leur rendez-vous ou qui abandonnent le programme.
Les obstacles potentiels au traitement qui surgissent pendant la période de retour avaient généralement été sous-estimés pendant le conflit. Par exemple, le TAR du Ministère de la Santé avait été élargi, en 2005, à certains centres de traitement en milieu rural, mais sans plan de contingence pour les retours et souvent sans les capacités suffisantes pour assurer le suivi des traitements. La coordination et le partage des expériences entre programme se sont aussi révélés problématiques. Les réunions du cluster sur la santé, la nutrition et le VIH/sida, présidés par l’Organisation mondiale de la santé, se sont concentrées sur les défis les plus immédiats de la transition, tels que l’hépatite E et le paludisme, et ne constituaient pas des forums adaptés pour élaborer les approches à long terme ou développer les capacités pour favoriser la rétention des patients dans les programmes sur le VIH, mais aussi sur la tuberculose. Les services de santé nationaux ont souffert de terribles pénuries de personnel et de médicaments alors que les retours augmentaient les pressions exercées sur ces services.(5)
Certains centres ruraux de santé fournissant des TAR bénéficiaient du soutien de différentes branches de MSF, y compris un soutien communautaire, bien qu’ils aient tous connu des problèmes de dotation en personnel et d’approvisionnement une fois que MSF s’est retiré. Fin 2006, le Programme sur la malaria, le VIH/sida et la tuberculose pour l’Ouganda du Nord (NUMAT), qui s’étale sur cinq ans, a été établi pour aider les services de santé en matière d’approvisionnement, de soutien communautaire et de décentralisation des traitements. Cette évolution a été la bienvenue, même si dans certains endroits le soutien communautaire a débuté après les mouvements de retour. Les traitements demeurent indisponibles dans un certain nombre de centres de soins ruraux, bien que la couverture ait augmenté de manière significative depuis la fin des hostilités.
Même les ONG relativement bien dotées en ressources ont connu de grandes difficultés. La stratégie de TASO, qui vise à dispenser à moto les soins à domicile et assurer le suivi, était particulièrement efficace lorsque les populations étaient statiques mais a été mise à mal lorsque les patients se sont éloignés. Ainsi ce programme a-t-il perdu plus de 10 % de patients au cours de chacun des deux premiers trimestres de 2008. La stratégie a alors été modifiée en s’appuyant sur des membres de la communauté pour assurer le suivi des patients, tandis que des points de distribution décentralisés ont été établis en milieu rural. Ces changements ont permis à TASO de réduire de manière drastique la perte de ses clients à moins de 1 % pour le second trimestre 2008.
St Mary’s Hospital Lacor a adopté à une stratégie de suivi communautaire dès le début de son programme, avec l’aide de l’organisation communautaire Comboni Samaritan – une stratégie qui s’est révélée très efficace pour garantir la continuité des traitements. Des responsables du suivi des traitements, issus des communautés de diverses zones géographiques, ont été nommés et constitués en réseaux, grâce auxquels peu de patients ont été perdus au cours de la période de retour, ne dépassant jamais plus de 2 % par trimestre. Le succès de St Mary’s prouve que l’établissement de réseaux communautaires étendus peut se montrer aussi efficace pour garantir la continuité du TAR que la décentralisation de la fourniture des traitements.
La majorité des responsables du suivi de l’adhérence employés par la plupart des programmes VIH sont eux-mêmes séropositifs et se heurtent aussi aux difficultés de la transition. Les petites allocations que ces responsables du suivi reçoivent ne suffisent souvent pas même à couvrir leurs heures de travail et ils affirment tous, quel que soit le programme, qu’ils ne sont pas capables de suivre aussi rigoureusement les patients aujourd’hui que dans les camps. L’un d’entre eux, Simon Omara de Comboni Samaritan, fait part de la situation : « Les principales difficultés que je rencontre sont les grandes distances, puisque la plupart des gens prennent leur traitement à huit heures quand fait déjà nuit, et qu’il a parfois commencé à pleuvoir. Il arrive de rencontrer sur le chemin des personnes ivres qui viennent vous importuner, et un autre problème est lorsque ces longues distances vous affaiblissent. »
Alors que certaines organisations comme TASO évoluent vers des programmes relatifs aux moyens de subsistance, il existe peu de programmes qui viennent soutenir les personnes séropositives qui sont en transition entre le déplacement et le retour. Tous les programmes disposent également d’éléments de prévention contre le VIH, bien que le programme de St Mary’s ne fournisse pas de préservatifs, limitant ainsi les options des patients en matière de santé reproductive, surtout en milieu rural où les autres services ne sont pas facilement accessibles.
Recommandations
L’expérience acquise dans l’Ouganda du Nord peut servir dans d’autres situations où un grand nombre de personnes a été déplacé pendant longtemps. L’un des enseignements à tirer est l’importance de travailler avec le ministère national de la santé et les ONG afin de :
- reconnaître que les processus de retour post-conflit peuvent créer des obstacles de grande taille aux programmes de traitement du VIH en raison de l’accroissement de la distance entre les prestataires de service et les populations séropositives souvent mobiles.
- reconnaître le fait que les programmes TAR fournis par l’État disposent de ressources insuffisantes
- décentraliser le traitement et financer des services de soutien communautaire pour aider à garantir la continuité du traitement
- reconnaître les lourdes responsabilités endossées par les responsables communautaires du suivi de l’adhérence au TAR, en particulier ceux qui sont eux-mêmes séropositifs
- cibler le soutien aux patients séropositifs de manière à les aider à adhérer au traitement alors qu’ils traversent les épreuves de la transition
- utiliser les travailleurs communautaires pour aider les patients à combattre leur anxiété vis-à-vis de la période de retour, en fournissant des informations sur les options de traitement
- garantir que la collecte des données dans les situations post-conflit ne porte pas uniquement sur l’adhérence mais aussi sur la perte des patients.
De plus, les données issues de programmes non gouvernementaux disposant de ressources adéquates ne peuvent pas être considérées comme représentatives de tous les programmes ; il est nécessaire d’effectuer en Ouganda du Nord, mais aussi ailleurs, une évaluation des programmes nationaux antirétroviraux qui disposent de ressources insuffisantes. Alors que la fourniture de traitements aux communautés touchées par les conflits peut se transformer en succès, la phase transitionnelle pose une série de nouveaux défis qui touchent les patients et risquent d’augmenter les chances de développer une résistance au traitement.
Les personnes séropositives de l’Ouganda du Nord – tout comme dans les autres contextes post-conflit – font preuve d’une remarquable capacité d’adaptation aux difficultés du retour en formant de nouveaux groupes de soutien. Elles demeurent toutefois vulnérables et continuent de vivre dans des circonstances délicates. La viabilité à long terme du TARs’appuie sur la promotion d’une communication et d’un soutien approfondis entre les donateurs, la société civile, les autorités sanitaires nationales, les patients et les prestataires locaux.
Matthew Wilhelm-Solomon (matthew.wilhelm-solomon@qeh.ox.ac.uk) est candidat à un doctorat au Département de développement international de l’Université d’Oxford. Il est l’auteur de « Stigmatisation, Disclosure and the Social Space of the Camp » (Stigmatisation, divulgation et espace social du camp), Unité de recherche sur le sida et la société, Document de travail 267. http://www.cssr.uct.ac.za/publications/working-paper/2010/267
(1) Mermin, Jonathan et al (2006) ‘Risk Factors for Recent HIV Infection in Uganda’, JAMA, 300, 5,
(2) http://www.tasouganda.org/
(3) http://www.lacorhospital.org/
(4) Programme de contrôle du sida, Ministère de la Santé, Situation de la thérapie antirétrovirale en Ouganda, Rapport trimestriel pour janvier-mars 2010.
(5) Entretien avec Dr Elizabeth Namagala (juillet 2009), Coordinatrice nationale TAR, Ministère de la Santé. Entretien avec Dr Solomon Woldetsadik (août 2008), Président du Bureau auxiliaire de Gulu de l’Organisation mondial de la santé.