Collaboration en temps de crise : une étude de cas au Mexique

La pandémie de COVID-19 a suscité de nouvelles pistes de réflexion alors que ceux qui travaillent avec les migrants forcés tentent de garantir un hébergement sûr et un accès aux services de base pour les demandeurs d'asile et les réfugiés malgré un contexte difficile.

Avant l'émergence de la COVID-19, le HCR travaillait depuis plusieurs années dans la ville de Tapachula, au sud du Mexique, à trouver un moyen de dialoguer avec les autorités sanitaires locales afin d’améliorer l'accès aux services de santé pour les demandeurs d'asile et les réfugiés. L'émergence de la pandémie à Tapachula en mars 2020 a contraint les deux parties à intensifier cette collaboration.

Située à environ 30 km de la frontière avec le Guatemala, Tapachula est le principal point d'entrée au Mexique pour les migrants, demandeurs d'asile et réfugiés voyageant par voie terrestre depuis l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud, ce qui en fait un lieu stratégique pour fournir une assistance aux personnes ayant besoin de protection internationale. Plus de 60 % des 41 223 demandes d'asile reçues par la Commission mexicaine d'aide aux réfugiés (COMAR) en 2020, avaient été enregistrées dans l'État de Chiapas, et la majorité l’avaient été à Tapachula[1].Cependant, le Chiapas est aussi l'un des États les moins bien classés en termes d’indices socio-économiques, avec plus de 76 % de la population vivant dans la pauvreté[2]. Les opportunités économiques et les services publics sont limités, ce qui signifie que les efforts pour aider les demandeurs d'asile et les réfugiés doivent être associés à un soutien aux institutions publiques.

Hébergement

Lorsque la COVID-19 a frappé, l'une des premières instances de collaboration entre le HCR et les autorités sanitaires locales s'est centrée sur un hôtel local bon marché à Tapachula. Depuis 2016, le HCR loue des chambres dans un hôtel privé de 80 chambres comme alternative d'hébergement pour les demandeurs d'asile et les réfugiés, de façon à l’utiliser lorsque les principaux refuges de la ville atteignent leur capacité maximale ou pour accueillir des familles avec enfants et des personnes ayant des besoins spécifiques en matière de protection ou de sécurité. Un grand nombre des personnes hébergées à l'hôtel sont des demandeurs d'asile libérés des centres de détention pour migrants[3].

Lorsque la pandémie a commencé, la plupart des refuges à Tapachula et dans tout le sud du Mexique ont soit suspendu leurs activités, soit cessé de recevoir de nouveaux arrivants. Dans un tel contexte, il est devenu de plus en plus important pour le HCR de veiller à ce que les demandeurs d'asile et les réfugiés aient accès à un lieu sûr afin de pouvoir s’y confiner conformément aux recommandations gouvernementales. Le HCR a augmenté le nombre de chambres qu'il louait à l'hôtel, et les a mises à la disposition de tous les demandeurs d'asile et réfugiés ayant besoin d'un hébergement temporaire.

Pour les autorités sanitaires locales, une telle mesure s’est avérée utile à plusieurs égards. Chargées de s'occuper de la situation des sans-abri à Tapachula, les autorités sanitaires ont pu orienter les demandeurs d'asile et les réfugiés sans abri vers l'hôtel. La diminution du nombre de personnes dans les rues a réduit le risque d'infection au sein de la population dans son ensemble.

En sus, très vite, on a commencé à rediriger les demandeurs d'asile et les réfugiés qui avaient été exposés à la COVID-19 ou qui avaient été testés positifs mais ne présentaient pas de symptômes graves et qui nécessitaient une hospitalisation. L'hôtel leur offrait un endroit où ils pouvaient se mettre en quarantaine ou s'auto-isoler, ce que les autorités sanitaires locales n'étaient pas en mesure de leur fournir. Les patients étaient suivis chaque jour par un médecin engagé spécialement par le HCR pour la réponse à la COVID-19, tandis que des médecins du système de santé publique effectuaient également des contrôles périodiques, en personne ou par téléphone. Toutes les personnes atteintes de la COVID-19 qui avaient été redirigées vers l'hôtel ont effectué leur période de quarantaine et d'isolement sans problème majeur et sans transmission connue du virus.

En juin et juillet 2020, alors que le nombre de cas de COVID-19 augmentait, des chambres et la pension gratuite dans une aile séparée de l'hôtel ont été offertes au personnel de santé de première ligne travaillant dans le principal centre COVID-19 de la ville. Cela a permis au personnel médical d'éviter toute contagion potentielle dans leurs foyers. De manière indirecte, ce contact quotidien avec le personnel de santé de première ligne a donné au HCR un avantage unique qui lui a permis d’observer le déroulement de la réponse à la pandémie.

Pour que l'hôtel puisse fournir ces services en toute sécurité, le HCR a développé des procédures opérationnelles standard (POS) spéciales pour effectuer son travail en rapport à la COVID-19 à l'hôtel. Celles-ci couvraient des aspects tels que des zones séparées pour différents profils et besoins, et la fourniture d'articles allant des produits de nettoyage aux téléphones portables et aux numéros d'urgence. Les demandeurs d'asile et les réfugiés étaient tenus informés des derniers développements liés à la COVID-19, y compris des services qui avaient été affectés. Tout le personnel avait été formé aux mesures de prévention de la COVID-19. En outre, les autorités sanitaires locales ont apporté leur soutien à la chloration de l'eau de l'hôtel.

Services de soins de santé primaires

À Tapachula, l'engagement du HCR aux côtés des autorités sanitaires locales a permis de garantir que les demandeurs d'asile et les réfugiés puissent accéder gratuitement aux services de santé publique de base, à condition de présenter des documents d'identification délivrés par la COMAR ou les services de l'immigration, un Code unique du registre de la population (CURP)[4] et une preuve de leur lieu de résidence. Il s'agit d'une avancée significative, étant donné que dans certaines autres villes, les demandeurs d'asile et les réfugiés ont encore du mal à se faire soigner dans les établissements de santé publique.

Cependant, lorsque la pandémie a atteint son premier pic au Mexique entre avril et septembre 2020, les services de santé publique ont été débordés. Au moment où les autorités ont détourné les ressources pour donner la priorité aux soins d'urgence, la plupart des services de soins primaires dispensés dans les centres de santé locaux ont été suspendus. Cela a eu un impact important sur de nombreux demandeurs d'asile et réfugiés, dont les réseaux de soutien social et les ressources économiques limités ne leur permettaient pas de payer des soins de santé privés. Plus important encore, les services de santé prénatale ont été suspendus et les femmes enceintes n’ont pu bénéficier de soins médicaux que sur une courte période précédant l'accouchement ou en cas d'urgence.

En conséquence, le rôle du médecin du HCR a dû évoluer rapidement pour inclure la gestion d'une clinique à l'hôtel afin d'offrir des soins de santé primaires gratuits aux demandeurs d'asile et aux réfugiés, y compris à ceux qui n'étaient pas hébergés à l'hôtel. Jusqu'à 45 personnes par semaine y ont reçu des soins médicaux, la priorité étant donnée aux soins prénataux pour les femmes enceintes. La clinique a également reçu un nombre important d'enfants souffrant d'affections cutanées et d'infections des voies urinaires, ainsi que de personnes souffrant de maladies chroniques.

Les autorités sanitaires locales ont soutenu cette initiative en l'incluant dans le système de surveillance sanitaire local et en remettant des fournitures médicales et des médicaments le temps que le HCR reçoive ses livraisons. Il est important de noter que les relations solides que le HCR avaient développées avec les autorités sanitaires locales lui ont permis de disposer d'une ligne directe pour référer les cas qui nécessitaient des soins médicaux spécialisés dans un établissement de santé publique, les autorités d'immigration assurant le transport d'urgence.

Le programme d'aide en espèces du HCR est venu compléter les services de santé fournis par le HCR et les autorités sanitaires locales ce qui a permis aux demandeurs d'asile et aux réfugiés de payer les médicaments et les tests médicaux qui n'étaient pas disponibles à la clinique de l'hôtel ou dans un établissement de santé publique[5]. Le HCR a également augmenté les dons d'équipements médicaux aux établissements de santé locaux afin que l’assistance mobilisée bénéficie également à la population locale.

Les enseignements tirés

L'hôtel, qui devait servir au départ d’abri, a été adapté et utilisé à différentes fins au cours de la pandémie. Cela illustre les différentes utilisations possibles des espaces non sanitaires pour des interventions de santé publique à court terme en temps de crise. De telles adaptations pourraient potentiellement être applicables à d'autres situations d'épidémie ou de pandémie, ou lors d'autres crises de santé publique, comme lors d'une catastrophe naturelle. Le coût de la location de cet espace peut cependant être élevé. Bien que l'hôtel utilisé par le HCR à Tapachula n’ait coûté que 9 dollars par chambre et par nuit[6], le coût cumulé dans le temps ne rendait cette solution viable que pour une durée limitée. Pour les besoins à plus long terme, le HCR dispose désormais d'un abri spécialement construit pour les demandeurs d'asile et les réfugiés en périphérie de Tapachula.

S'il est approprié, voire nécessaire, de fournir des services de soins de santé primaires comme mesure palliative dans une situation d'urgence, il ne faut pas que cela se transforme en un service parallèle. En offrant des consultations médicales à l'hôtel, le HCR s'est efforcé de fournir la meilleure qualité de soins possible compte tenu des circonstances. Cependant, les services de santé publique étant limités et soumis à des pressions supplémentaires en raison de la pandémie, cela a inévitablement créé une disparité entre les services disponibles dans les établissements publics et les services fournis par le HCR. Ce contraste est devenu apparent lorsque les consultations médicales proposées à l'hôtel ont cessé. Certains demandeurs d'asile et réfugiés ont exprimé leur déception, déclarant qu'ils préféraient continuer à se faire soigner à la clinique de l'hôtel plutôt que dans les établissements de santé locaux. Cependant, les autorités locales seraient peu disposées à inclure les demandeurs d'asile et les réfugiés dans les services de santé publique si elles s'attendaient à ce que le HCR couvre ces besoins. En tout état de cause, il ne s’agit pas pour le HCR d’une utilisation efficace de ses ressources que de continuer à fournir des services de santé là où des services existent déjà. L'expérience de l'hôtel à Tapachula a mis en évidence que la fourniture de services de soins de santé auxiliaires doit rester circonscrite dans le temps et dans des contextes spécifiques, c’est-à-dire lorsque les besoins de santé publique justifient cette intervention. Il est crucial de savoir à quel moment réduire les opérations, de même qu’il est indispensable de s'assurer qu'une stratégie de sortie est prévue dès le départ.

Pour les demandeurs d'asile et les réfugiés de Tapachula, l'accès aux services de santé est désormais plus prévisible et plus cohérent, ce qui traduit une avancée significative en matière de protection générale de la population. L'étroite collaboration établie pendant la pandémie de COVID-19 devrait se poursuivre dans la période postpandémique. En dehors des périodes de crise, les efforts devraient se concentrer sur la consolidation des services de santé par le biais du renforcement des capacités et du soutien technique, et par des investissements dans les infrastructures, les équipements et les fournitures. Aussi longtemps que le HCR aura accès à des fonds, il pourra fournir un soutien matériel au système de santé local, tout en s'appuyant sur les autorités locales pour l'apport et l'assistance techniques. Les deux parties continueront à tirer profit d'une coordination et d'un échange d'informations réguliers.

 

Gabrielle Low lowg@unhcr.org
Responsable opérationnelle, HCR Tapachula

 

[1] COMAR www.gob.mx/comar/articulos/la-comar-en-numeros-271284?idiom=es

[2] Les données les plus récentes datent de 2018, Conseil national pour l'évaluation du développement social bit.ly/CONEVAL-data-2018 

[3] À Tapachula se trouve « Siglo XXI », un centre de détention géré par l'Institut national pour la migration. Il s'agit de l'un des plus grands d'Amérique latine, avec une capacité d'accueil de 960 personnes.

[4] Clave Única de Registro de Población, un numéro d'identification délivré par le gouvernement.

[5] L'assistance en espèces pour les besoins de santé fait partie d'un programme plus large d'aide en espèces mis en œuvre par le HCR au Mexique, celui-ci aide à couvrir les frais de subsistance des personnes ayant des besoins spécifiques.

[6] Pour le même tarif, les chambres peuvent accueillir entre deux et dix personnes.

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.