Recognising refugees: understanding the real routes to recognition

Les procédures de détermination sont extrêmement importantes dans la mesure où ce sont les voies qui mènent à l’obtention du statut de réfugié. Pourtant, l’étude de ces pratiques révèle de nombreux défis.  

Notre projet de recherche « Recognising Refugees » (« Reconnaître les réfugiés ») vise à comprendre les facteurs déterminants par lesquels une personne est reconnue en tant que réfugié (ou ne l’est pas) dans le monde.[1] En pratique, la reconnaissance dépend non seulement de la définition juridique du terme « réfugié » mais aussi, et surtout, des procédures institutionnelles utilisées pour reconnaître les réfugiés. Ces procédures peuvent être indistinctement appelées « procédure d’asile » ou de « détermination du statut de réfugié » (DSR). Elles peuvent être conduites par les autorités publiques (gardes-frontières, police, fonctionnaires des services d’immigration ou évaluateurs et juges spécialisés dans l’asile) ; par le HCR ; ou par une combinaison de représentants des pouvoirs publics et du HCR. Enfin, elles peuvent être collectives ou individualisées.

Il est indispensable d’étudier ces procédures dans la mesure où elles mènent à l’obtention du statut de réfugié. La reconnaissance en tant que réfugié apporte différents avantages selon les contextes (depuis un statut sûr avec protection des droits dans certains États à une simple protection contre le refoulement et l’arrestation arbitraire dans d’autres) mais elle est presque toujours transformatrice. Toutefois, ce n’est pas seulement le résultat de la reconnaissance du statut de réfugié qui est important, les procédures elles-mêmes façonnent profondément les vies. Durant notre travail de terrain, de nombreux demandeurs d’asile nous ont décrit les indignités de l’attente, de l’incertitude prolongée et, bien entendu, du caractère dégradant des entretiens d’asile. Les procédures de reconnaissance, alors qu’elles devraient être une voie menant à la protection, comportent souvent des obstacles pour les demandeurs et se traduisent par des impacts défavorables, à la fois profonds et durables, sur leur bien-être et sur leurs droits.

L’objectif du présent article est de présenter au lectorat de RMF quelques récents travaux de recherche universitaire sur la reconnaissance des réfugiés, et de faire part également de certaines difficultés que nous avons rencontrées durant nos propres recherches. Dans l’ensemble, nous avons essayé d’élargir l’éventail des pratiques étudiées en vue de refléter la diversité des approches à travers le monde. Dans cette optique, nous visions également à mieux comprendre les trois aspects clés de la reconnaissance des réfugiés dans le monde : les processus collectifs ; le rôle du HCR dans la détermination du statut ; et les processus de reconnaissance des réfugiés dans les États qui n’ont pas ratifié (ou qui n’appliquent pas) la Convention de 1951 relative au statut de réfugié. Nous avons choisi de nous concentrer sur quatre États qui nous permettent d’étudier diverses facettes de ces trois aspects, à savoir le Kenya, le Liban, l’Afrique du Sud et la Turquie, mais nous avons également communiqué avec des chercheurs et des institutions locaux dans d’autres États importants d’Afrique du Nord, d’Amérique du Sud et d’Asie Toutefois, nos recherches se sont heurtées à un obstacle en particulier : le manque de transparence. Nous espérons que cet article suscitera des réflexions chez les nombreux praticiens travaillant dans le domaine de la reconnaissance des réfugiés, y compris au sein du HCR et des organes publics.

Travaux de recherche sur la DSR : leurs variations et causes

En ce qui concerne les résultats de la DSR, il existe aujourd’hui un large corpus de recherches (principalement dans le domaine des sciences politiques) qui étudie la variation des « taux de reconnaissance » de différents groupes de demandeurs d’asile. Ces travaux montrent clairement que la reconnaissance d’un demandeur en tant que réfugié dépend non seulement (ou parfois pas du tout) de la solidité de sa demande, mais aussi de la conception du régime de reconnaissance ou même de l’identité particulière de l’évaluateur qui prendra la décision (signe infaillible d’une procédure arbitraire). On observe une telle variation entre les États (en particulier dans l’UE, en dépit de l’harmonisation juridique de son système d’asile) mais également au sein des États. L’étude Refugee Roulette, qui fait autorité aux États-Unis, a révélé que les probabilités de reconnaissance variaient considérablement même entre les juges d’un même bureau.[2]

La plupart des travaux empiriques illustrent le problème de la variation et démontrent que le résultat s’explique par d’autres facteurs que la solidité de la demande. Par exemple, l’étude de Linna Martén sur la Suède a démontré les liens entre l’affiliation politique des juges et la reconnaissance.[3] L’ouvrage exemplaire de Rebecca Hamlin, Let Me Be a Refugee, compare les régimes de DSR du Canada, des États-Unis et d’Australie. Ces trois États ont des systèmes juridiques semblables qui définissent de la même manière les « réfugiés » mais avec des résultats totalement différents quant aux demandeurs reconnus en tant que tels.[4] Elle en conclut que, plus les évaluateurs sont isolés de toute influence politique et plus ils sont en mesure de développer de manière progressive le droit des réfugiés et de reconnaître des demandes solides.

Les chercheurs étudiant les procédures de reconnaissance des réfugiés dans les pays du Nord analysent les décisions publiées et les taux de reconnaissance et, dans de nombreux cas, ont obtenu l’accès aux dossiers qui documentent les décisions. En plus d’observer les procédures organisées en public, ils ont également obtenu un accès institutionnel aux décisions généralement prises en privé. Les nouvelles technologies permettent d’étudier les décisions en masse mais, pour ce faire, elles doivent pouvoir accéder aux documents sources. Une fois cet accès accordé, les chercheurs peuvent mettre au jour des informations particulièrement utiles sur la qualité des décisions prises.

Principaux aspects de la reconnaissance des réfugiés

1. Reconnaissance collective

La reconnaissance collective est un aspect essentiel de la reconnaissance des réfugiés, bien qu’il soit souvent sous-estimé. Par exemple, la Turquie (qui accueille plus de réfugiés que tout autre pays) a adopté la protection collective[5] pour près de 3,7 millions de Syriens (même si le pays continue d’appliquer une procédure hautement individualisée pour les autres nationalités). Alors que la reconnaissance prima facie est principalement appliquée en Afrique, d’autres formes de reconnaissance collective, notamment en se basant sur de solides présomptions d’inclusion, sont appliquées dans de nombreux contextes, y compris dans le cadre des pratiques mêmes du HCR. Au Moyen-Orient, on observe une tendance à reconnaître aussi bien les réfugiés irakiens que syriens de manière collective. Par ailleurs, certains États de l’UE ont réagi aux arrivées de réfugiés de 2015 en appliquant des formes de reconnaissance collective de facto pour les Syriens, dans la mesure où ceux-ci étaient traités comme des réfugiés présumés. Par exemple, pendant un certain temps, il n’était plus nécessaire de conduire un entretien d’asile en Allemagne s’il ne faisait aucun doute que le demandeur était de nationalité syrienne.

L’un des principaux défis que nous avons rencontrés concerne la difficulté à collecter des données sur la base juridique et sur les procédures qui sous-tendent la reconnaissance collective. Les pratiques prima facie sont très courantes en Afrique mais il n’existe aucune source d’information centralisée sur ces décisions et, dans certains cas, les dossiers sont difficiles à trouver alors même qu’ils déterminent le statut de millions de réfugiés. En dépit de ce manque de sources officielles et de transparence, il semble que le statut prima facie soit véritablement efficace pour accorder un statut sûr aux réfugiés. Par exemple, au Kenya, les réfugiés soudanais ayant bénéficié d’une reconnaissance prima facie étaient l’un des rares groupes de réfugiés, parmi ceux que nous avons interrogés, ayant exprimé leur satisfaction quant à l’accessibilité et l’équité de la procédure de reconnaissance.

2. Le rôle du HCR

Le HCR est le principal évaluateur sous-étudié. Il entreprend la DSR dans les États qui ne sont pas parties à la Convention de 1951 ainsi que dans de nombreux États ne disposant pas de procédure nationale d’asile. Les recherches sur la DSR conformément au mandat du HCR sont aujourd’hui dépassées puisqu’elles datent de la fin des années 1990 et du début des années 2000[6], mais leur contenu était très majoritairement critique, notamment à propos du manque de procédures équitables et de redevabilité dans les processus de l’organisation. Il semblerait que le HCR ait réformé ses opérations de DSR dans les années qui ont suivi. Il a également développé plus en détail ses propres directives de procédure. En 2014 et 2015, il a publié des directives sur la reconnaissance prima facie du statut de réfugié et sur la protection temporaire. Il a cherché non seulement à expliquer mais aussi à améliorer son mandat de DSR en promouvant la reconnaissance collective. En mai 2016, il a formalisé une nouvelle approche de son « engagement stratégique » en matière de DSR, consolidant ainsi certaines des pratiques déjà existantes.[7] Cette nouvelle approche affirme qu’il « convient de considérer des stratégies diversifiées de traitement des cas, telles que le traitement collectif basé sur la reconnaissance prima facie du statut de réfugié ou des procédures simplifiées pour les nationalités ayant un besoin manifeste de protection, en vue de préserver la qualité, l’intégrité et l’efficacité de la procédure ».

Pour l’heure, nous ne sommes toutefois pas en mesure d’évaluer l’impact de ces réformes, car l’étude du rôle du HCR dans la DSR se heurte à un grand défi : son opacité. Les décisions du HCR ne sont pas publiées, au contraire des décisions rendues en appel dans les systèmes nationaux. En effet, il n’existe toujours aucun mécanisme d’appel indépendant pour les décisions de DSR prises par le HCR. Qui plus est, en dépit de ses directives de procédures sur la DSR, aucune information n’est disponible sur la manière dont le HCR lui-même prend ses décisions de DSR. Contrairement à la remarquable ouverture de certaines autorités publiques, principalement dans les pays du Nord, le HCR manque de transparence et ses pratiques échappent à tout examen.

3. Reconnaissance des réfugiés dans les États non-signataires

Nous commençons tout juste à comprendre les diverses fins de la DSR, en particulier dans les États qui accueillent les réfugiés à contrecœur, y compris ceux qui n’ont pas ratifié la Convention relative au statut de réfugié. Souvent, le rôle de la DSR conformément au mandat du HCR dans les pays non-signataires est de favoriser ostensiblement la réinstallation. Toutefois, pour l’immense majorité des réfugiés, il y n’a tout simplement pas de place de réinstallation disponible. Si nous étudions les liens entre la DSR et la réinstallation, cette dernière apparaît comme une procédure encore moins transparente.

LE HCR conduit un type particulier de DSR en vue de la réinstallation, dans la mesure où il doit sélectionner les réfugiés qui correspondent aux priorités des États où ils seront réinstallés. Cette procédure fait entrer en jeu un mélange de la définition de réfugiés, de vagues critères de vulnérabilité et la certitude que les réfugiés doivent correspondre aussi bien aux préférences ouvertement exprimées que tacites des États concernés. En raison du manque de transparence de cette procédure, les chercheurs, les praticiens et, surtout, les réfugiés ignorent souvent sur quoi les choix reposent.

Il arrive que l'État d’accueil entrave l’action du HCR pour reconnaître les réfugiés et que la DSR n’apporte pas forcément d’avantages évidents à ces derniers. Par exemple, en 2015, les autorités du Liban ont ordonné au HCR de cesser de reconnaître les demandeurs syriens, si bien que la population de réfugiés a été uniquement recensée et non pas enregistrée. En conséquence, les réfugiés n’ont pas pu obtenir de certificat confirmant leur statut, ce qui risquait de réduire leur accès à certains droits et types d’assistance. En effet, le manque de « protection » découlant de la reconnaissance est évident dans de nombreux États. Comme l’a constaté Maja Janmyr au Liban et comme Derya Ozkul l’étudie dans ce numéro de RMF dans le détail, pour de nombreux réfugiés (potentiels), la reconnaissance du statut de réfugié dans un État non-signataire peut en fait se traduire par une limitation plutôt que par une extension de leurs droits. Le Liban, qui exige que les réfugiés reconnus par le HCR s’engagent par écrit à ne pas travailler dans le pays, en est un exemple.

Conclusion

À cette étape préliminaire de nos recherches, nous peinons toujours à parvenir à une évaluation des procédures de détermination du statut de réfugié basée sur des données concrètes. Si les processus sont opaques et empêchent tout examen par le public ou les chercheurs, nous devons alors nous en remettre aux témoignages des réfugiés, des professionnels de l’aide juridique et des autres acteurs qui soutiennent les réfugiés au cours des procédures de reconnaissance. Pour nos recherches, nous dépendons de la bonne volonté des évaluateurs et des fonctionnaires du HCR et des organismes publics pour pouvoir accéder aux dossiers des procédures de reconnaissance des réfugiés. Le manque de transparence actuel ne rend pas seulement ces procédures en partie impénétrables pour les chercheurs, mais il soulève également des questions quant à leur équité même.

 

Cathryn Costello costello@hertie-school.org
Professeure de droit des réfugiés et de la migration, Université d’Oxford ; Professeure en droits fondamentaux et co-directrice du Centre pour les droits fondamentaux, Hertie School www.hertie-school.org/en/fundamental-rights

Caroline Nalule caroline.nalule@qeh.ox.ac.uk
Chargée de recherche

Derya Ozkul derya.ozkul@qeh.ox.ac.uk
Chargée de recherche

Centre d'études sur les réfugiés, Université d’Oxford www.rsc.ox.ac.uk

 

[1] Ce projet s’inscrit dans le cadre du projet Refugees are Migrants: Refugee Mobility, Recognition and Rights (RefMig), une bourse Horizon 2020 financée par le Conseil européen de la recherche (no de subvention 716968).

[2] Schoenholtz A I, Ramji-Nogales J et Schrag P G (2007) « Refugee Roulette: Disparities in Asylum Adjudication », Stanford Law Review 60 (2): 295 https://scholarship.law.georgetown.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2914&context=facpub

[3] Martén L (2015) « Political Bias in Court? Lay Judges and Asylum Appeals », Université d’Uppsala, Département d’économie, série de documents de travail 2/2015

[4] Hamlin R (2014) Let Me Be a Refugee, Oxford University Press

[5] Lorsque la reconnaissance est automatique pour la plupart voire la totalité des membres du groupe particulier étant reconnu.

[6] Alexander M (1999) « Refugee Status Determination Conducted by UNHCR », International Journal of Refugee Law 251 ; Kagan M (2006) « The Beleaguered Gatekeeper: Protection Challenges Posed by UNHCR Refugee Status Determination », International Journal of Refugee Law 1. Le blog « RSD Watch », fondé par Michael Kagan, a également publié de nombreux articles sur les difficultés de la DSR par le HCR.

[7]HCR, Comité exécutif du Programme du Haut-Commissaire, 66e  réunion du Comité permanent, « Refugee Status Determination », 31 mai 2016, EC/67/SC/CRP.12 www.refworld.org/pdfid/57c83a724.pdf

 

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