- November 2024
Le Fonds consacré aux pertes et aux dommages pourrait potentiellement augmenter les flux de financement climatique soutenant les travaux sur la mobilité humaine. Des efforts concertés sont nécessaires pour assurer la participation des migrants climatiques aux prises de décision.
En 2023, les catastrophes ont provoqué 26,4 millions de déplacements internes. À la fin de cette même année, 7,7 millions de personnes étaient toujours déplacées.[1] En l’absence de mesures pour le climat ou le développement, on estime à 216 millions le nombre de migrants climatiques internes à l’horizon 2050 (on ne dispose actuellement d’aucune estimation sur le nombre de migrants climatiques transfrontaliers).[2]
Si les coûts et les impacts directs et indirects de ces mouvements pour les personnes, les communautés et les pays concernés sont importants, ils sont aussi largement sous-estimés, voire ignorés. Outre ces coûts, le contexte financier actuel ne tient pas compte de l’étendue et des besoins des pays les plus vulnérables au climat et de leurs populations. Les fonds consacrés au climat proposent un soutien particulièrement limité aux actions liées à la mobilité humaine. Une cartographie établie en 2018 par la Task Force on Displacement (TFD) montre que peu de programmes financés par le Fonds vert pour le climat (FVC) incluaient la question de la mobilité humaine à cette époque. Cette situation n’a pas évolué au cours des dernières années. La majorité des travaux portant sur le changement climatique et sur la mobilité humaine sont toujours financés en dehors du secteur du financement climatique, et dépendent principalement de donateurs spécialisés dans la réponse humanitaire.
Accélérer les interventions axées sur la mobilité humaine
La création du Fonds consacré aux pertes et aux dommages a le potentiel nécessaire pour augmenter les flux de financement climatique soutenant les travaux sur la mobilité humaine. Ce Fonds, établi à l’issue de 30 ans de plaidoyer par les pays les plus vulnérables au changement climatique, vise à répondre aux conséquences les plus dévastatrices du changement climatique, y compris lorsqu’elles sont irréversibles. La nécessité de créer ce Fonds avait été convenue lors de la COP27. Sa mise en œuvre fut décidée par les États lors de la COP28 tenue en décembre 2023, et ceux-ci se sont engagés dans son opérationnalisation. Aujourd’hui, le montant de leurs contributions s’élève à environ 700 millions de dollars.
La création de ce Fonds pourrait faciliter l’intégration des objectifs et des réponses en matière de mobilité humaine aux actions menées pour le climat. Son champ d’application inclut précisément le déplacement, la réinstallation planifiée et la migration. Le fait qu’un fonds pour le climat cite spécifiquement la mobilité humaine dans ses domaines thématiques est inédit.
Le Fonds stipule par ailleurs que les migrants climatiques doivent être consultés dans le cadre de ses travaux et des décisions de son conseil d’administration. Si ce principe peut poser certaines difficultés, les personnes en situation de déplacement sont désormais reconnues comme bénéficiaires du financement climatique.
Les États ont également indiqué que les activités soutenues par les institutions de financement et les fonds multilatéraux déjà en place dans le cadre de l’action climatique doivent inclure les réfugiés et les migrants climatiques. Cette exigence élargit le champ d’application en permettant aux personnes déplacées par le changement climatique de participer aux prises de décision, en reconnaissant le rôle qu’elles jouent en tant qu’acteurs du changement, et en multipliant les opportunités d’investissements à long terme dans le climat en faveur de la mobilité humaine.
Enfin, l’International Organization for Migration (IOM) participera à un dialogue de haut niveau visant à coordonner les travaux du Fonds ainsi que d’autres dispositions de financement dans le cadre des pertes et de dommages. Ce développement montre que les opérations axées sur la mobilité humaine ont clairement leur place dans ces discussions, mais qu’elles jouent aussi un rôle important dans les décisions concernant la répartition des fonds.
On relèvera également deux caractéristiques de ce Fonds susceptibles de favoriser l’efficacité des travaux en matière de mobilité humaine. Au vu des effets disproportionnés du changement climatique sur les pays les plus vulnérables et sur leurs populations, ce Fonds impose une allocation minimale pour les pays les moins avancés (PMA) ainsi que pour les petits États insulaires en développement (PEID).[3] Il stipule également que les communautés doivent pouvoir y accéder par le biais de petites subventions, offrant ainsi un accès direct à ses ressources aux migrants, aux personnes déplacées et aux réfugiés.
Définition des besoins
Le Conseil d’administration du Fonds (son organe directeur) et son secrétariat intérimaire (qui soutient et conseille le Conseil) se sont réunis trois fois avant la COP29. Ils se réuniront à nouveau en 2024 afin d’élaborer les structures et de définir les modalités du Fonds, notamment en termes d’accès, de décaissement, et de participation des parties prenantes aux travaux du Conseil. Une attention particulière devra être accordée à l’intégration de la mobilité humaine tout au long de la progression de ces travaux.
Une bonne connaissance de ce qui pourrait être financé et de ce qui l’est déjà sera nécessaire pour mettre pleinement en place les références à la mobilité humaine dans les décisions de la COP28. Lors des négociations de 2023, les besoins et les priorités thématiques n’avaient été que partiellement évoqués en raison de la difficulté que présente la priorisation de sujets spécifiques parmi les innombrables impacts et réponses jugés importants dans les discussions sur les pertes et les dommages de différents pays. Alors que la structure et les modalités du Fonds sont en cours d’élaboration, il est temps de passer à un débat thématique plus détaillé.
L’inclusion des questions liées à la mobilité humaine dans le champ d’application du Fonds consacré aux pertes et aux dommages doit se traduire par des actions visant les trois objectifs suivants :
- Ajouter le déplacement et ses impacts à la facture des pertes et dommages
Les ressources requises pour répondre à l’augmentation de l’occurrence, de la durée, des coûts et des impacts des déplacements dans le contexte du changement climatique doivent être prises en compte dans la détermination de l’étendue du financement nécessaire, et elles doivent être proposées par l’intermédiaire du Fonds ainsi que d’autres dispositions de financement. Tous les efforts appropriés devront être intensifiés de manière à répondre efficacement à l’ensemble des besoins en matière d’aide humanitaire, de transition et de solutions durables au cours des prochaines décennies. - Attribuer des fonds climatiques à des projets de relocalisation planifiés exhaustifs
Des ressources devront être mises en place pour aider, en dernier recours, les pays concernés à relocaliser leurs communautés situées dans des zones à risque, dès lors qu’une adaptation in situ n’est plus viable. Sachant que les processus de réinstallation planifiée doivent comporter des consultations, intégrer les droits humains, et soutenir des interventions ciblant toutes les catégories de bien-être des personnes et des communautés concernées, ces démarches sont souvent longues et coûteuses. En l’absence de ressources appropriées, ces opérations produisent souvent des pertes et des dommages supplémentaires dans un contexte de perturbation des moyens de subsistance, de disparition des pratiques culturelles et d’affaiblissement de la prospérité économique et de la sécurité humaine. - Investir pour bénéficier pleinement du potentiel positif de la migration
Il faut élaborer des approches à long terme en matière de pertes et de dommages pour permettre aux pays vulnérables d’investir de manière précoce et proactive dans la sécurisation de la migration. Pour cela, il est essentiel d’adopter des politiques, des stratégies, des plans et des investissements qui permettent d’absorber l’arrivée de nouveaux migrants, de protéger leurs droits, de leur donner accès aux services essentiels, et de garantir une migration digne aux personnes à risque. Ces mesures pourraient comprendre des programmes d’emploi, le regroupement familial ou des visas humanitaires facilités par des accords bilatéraux ou multilatéraux.
Tirer pleinement parti du potentiel du Fonds
Les options permettant de concrétiser ces objectifs en matière de mobilité humaine sont nombreuses. On retiendra plus particulièrement l’élaboration de trois guides techniques par la Task Force on Displacement dans le cadre du Mécanisme international de Varsovie pour les pertes et dommages.
Le Technical guide on accessing finance for averting, minimizing, and addressing the impacts of displacement associated with climate change impacts (Guide technique sur l’accès au financement pour éviter, minimiser et traiter les conséquences des déplacements liés au changement climatique) présentera un aperçu des options de financement de la réponse aux déplacements dans le cadre des mécanismes de financement liés au climat. Ce guide détaillera également les capacités, les exigences techniques et les processus qui permettent d’accéder à ce type de fonds.
Le Technical guide on averting, minimizing and addressing non-economic losses in the context of human mobility (Guide technique permettant d’éviter, de minimiser et de traiter les pertes non économiques dans le contexte de la mobilité humaine) aidera les praticiens et les décideurs nationaux à identifier et à répondre aux pertes non économiques liées à la mobilité humaine. Étant donné que différents types de pertes non économiques appellent différents types d’acteurs et d’expertises dans le contexte de la mobilité humaine, il faudra adopter une combinaison d’approches sectorielles couvrant l’amélioration de l’accès aux soins de santé, la gestion des écosystèmes ainsi que des initiatives pour la préservation culturelle et la cohésion sociale.
Le Technical guide on integrating human mobility and climate change linkages into relevant national climate change planning processes (Guide technique sur l’intégration des liens qui existent entre la mobilité humaine et le changement climatique dans les processus nationaux de planification concernant le changement climatique) pourrait aider les pays à élaborer, à actualiser et à mettre en place des approches axées sur la mobilité humaine dans leurs plans nationaux. Alors que les modalités du Fonds sont en cours d’élaboration, on ne sait pas encore si et comment les bénéficiaires devront s’y prendre pour démontrer les pertes et les dommages qu’ils ont subis et faire état de leurs besoins pour obtenir une assistance. Des processus de planification nationale (plans d’adaptation ou contributions déterminées au niveau national, évaluations des pertes et des dommages aux niveaux national et local) pourraient être envisagés. De nombreuses organisations œuvrent actuellement au développement d’une base de données nommée DesInventar 2.0, afin d’enregistrer les pertes et les dommages constatés et d’évaluer leur impact. Ces efforts doivent être reconnus dans l’élaboration d’approches et d’outils normalisés pour pouvoir proposer des évaluations exhaustives de l’action climatique et des impacts du changement climatique.
Prochaines étapes
Des discussions et des processus portant spécifiquement sur la participation seront nécessaires pour assurer l’engagement des migrants et des réfugiés dans les décisions concernant le financement, l’action et le soutien climatiques. Certains défis concrets devront être relevés. La CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) compte neuf groupes représentant tout un éventail d’intérêts et de perspectives (entreprises et acteurs sectoriels, ONG environnementales, peuples autochtones, agriculteurs et autres). À l’heure actuelle, les migrants et les personnes déplacées n’appartiennent à aucune circonscription reconnue et ne sont représentés dans aucun forum de planification national. Les autres défis sont le manque d’opportunités de participation et d’engagement des représentants des communautés dans les décisions concernant les politiques climatiques, et le manque de ressources appropriées pour soutenir ces processus.
Les organisations qui interviennent dans le contexte de la mobilité humaine et du changement climatique ont formulé des recommandations pratiques pour aller de l’avant. Celles-ci comprennent une collaboration avec les réseaux d’organisations de terrain qui représentent les migrants, le renforcement des capacités de leurs représentants pour permettre à ceux-ci de contribuer aux discussions sur les politiques climatiques, et l’intégration de ces représentants dans les circonscriptions impliquées dans les négociations climatiques.
De nombreux acteurs clés devront redoubler d’efforts pour accélérer l’intégration de la mobilité humaine dans le financement climatique. Les fonds climatiques actuels – Fonds vert pour le climat, Fonds d’adaptation et Fonds pour l’environnement mondial – doivent mieux tirer parti de la décision de la COP28 en vue de financer davantage de propositions en sollicitant la contribution de personnes en situation de déplacement et susceptibles de bénéficier desdites propositions. D’autres propositions liées au déplacement, à la relocalisation planifiée et à la migration devraient être soumises à ces fonds, et les institutions gouvernementales ainsi que les organisations qui interviennent dans le domaine de la mobilité humaine devront renforcer leurs capacités pour lever des fonds pour le climat.
Enfin, l’IOM devrait relayer les messages et les priorités de la communauté de la mobilité humaine au sens large dans le cadre de sa participation au Dialogue de haut niveau sur les pertes et les dommages. Les organisations qui interviennent en matière de migration devraient notamment présenter les investissements qu’elles ont effectués pour répondre à la mobilité climatique, ainsi que les ressources nécessaires provenant du financement climatique.
Si la décision de la COP28 offre un cadre aux problématiques de mobilité humaine dans le contexte du changement climatique, des efforts soutenus seront toutefois nécessaires pour combler les lacunes en matière de financement climatique et pour mettre en lumière les impacts, les besoins et les initiatives pertinentes aux yeux des gouvernements, des communautés et des autres parties prenantes. À ce stade des négociations mondiales sur le climat, les acteurs de la mobilité humaine ont un rôle essentiel à jouer dans l’élaboration de formes de financement efficaces afin d’éviter, de minimiser et de traiter l’impact du climat sur les personnes les plus vulnérables dans les pays concernés.
Ileana Sînziana Pușcaș
Experte principale pour la migration climatique, International Organization for Migration
ispuscas@iom.int
linkedin.com/in/ileana-sinziana-puscas-2604ab4a/
Lorenzo Guadagno
Coordinateur de projet, Platform on Disaster Displacement
lorenzog@unops.org
linkedin.com/in/lorenzo-guadagno-63ab4915/
Les auteurs tiennent à remercier leurs collègues de la « Collaboration sur les pertes et les dommages » ainsi que le « Groupe de travail sur les défis du déplacement et de la mobilité humaine », et le « Groupe consultatif sur la mobilité humaine et le changement climatique » pour les échanges enrichissants qu’ils ont eus avec eux au cours des deux dernières années sur ce sujet, et qui ont partiellement inspiré les auteurs dans la rédaction de cet article.
Avertissement :
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’International Organization for Migration ni celles de Platform on Disaster Displacement.
[1] Internal Displacement Monitoring Centre (2024) Global Report on Internal Displacement bit.ly/idmc-grid-2024
[2] Groupe de la Banque mondiale (2021) « D’ici à 2050, le changement climatique risque de contraindre 216 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays… » https://bit.ly/changement-climatique-risque
[3]Voir IOM (2019) Climate Change and Migration in Vulnerable Countries bit.ly/climate-change-vulnerable-countries
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