Quel espoir pour les PDI dans un Soudan nouveau?

Le résultat le plus probable du référendum de 2011 est que le Sud Soudan fasse sécession, séparant le Soudan en deux Etats nations indépendants.

La dernière des guerres civiles du Soudan entre le Nord et le Sud a pris fin en 2005 avec l’Accord de paix global (APG). Ces guerres ont entrainé le déplacement de plus de quatre millions de personnes et la mort de plus de deux millions de Sud Soudanais. L’APG a imposé à la fois au Nord et au Sud de rendre l’unité attrayante, tout en préparant la voie pour que le Sud organise un référendum d’autodétermination. Néanmoins, de nombreux défis sont encore à résoudre en ce qui concerne les préparatifs du référendum, et pour la suite en cas de sécession. Les deux questions spécifiques auxquelles il faut répondre sont de savoir si toutes les personnes déplacées internes (PDI) qui se trouvent à Khartoum auront la possibilité de voter et quelle sera leur citoyenneté après la sécession si tel est le résultat.

Participer au référendum

Ce sont les statistiques de population qui proviennent du recensement effectué au Soudan en 2008 qui seront utilisées pour déterminer comment le pouvoir et les richesses seront distribués, si et quand la sécession aura lieu. Pour pouvoir garantir une distribution proportionnelle, tous les individus du Sud Soudan devraient avoir été recensés, y compris les personnes déplacées dans les camps à Khartoum et aux alentours. Le Bureau central des statistiques (BCS) a affirmé que les Sud Soudanais représentaient 21,1% de la population totale du Soudan face à 78,9% de Nord Soudanais.1 Ce chiffre de 21,1% a été contesté par le Premier vice président Salva Kiir, un Sud Soudanais, qui suggère 33% et plus, est une estimation plus fiable.  

L’une des raisons expliquant des chiffres aussi peu élevés réside dans le fait que de nombreux PDI qui vivent dans des camps et des zones de squats autour de la capitale ont été ignorés. En mai 2009, le BCS a annoncé que seulement 520 000 Sud Soudanais vivaient à Khartoum et aux alentours, comparés aux 2 millions estimés par le Mouvement populaire de libération du Soudan ‘sudiste’ (SPLM). Une évaluation réalisée en 2008 par Tufts-IDMC avait estimé qu’entre 1,3 et 1,7 millions de PDI, provenant principalement du Sud vivaient à Khartoum parmi les  autres communautés.2

Il est crucial d’insister sur le fait que seulement un tiers des PDI Sud Soudanais vivant à Khartoum ont été enregistrés sur les listes électorales pour les élections de 2010, parce que seulement un tiers d’entre eux étaient considérés comme existant selon le parti du Congrès national ‘nordiste’ (NCP).  La question déterminante est donc maintenant : la totalité des 1,3 millions ou plus de PDI seront-ils enregistrés sur les listes électorales pour pouvoir participer au référendum ?

Garantir à tous les Sud Soudanais une chance de pouvoir voter sera très couteux et dans certains cas irréalisable dans la mesure où les deux parties sont réticentes à financer ou assurer la logistique d’une telle entreprise. Les deux parties doivent s’assurer qu’il y aura suffisamment de personnes enregistrées et de bureaux de vote à Khartoum et aux alentours pour permettre la tenue d’un référendum juste. Cependant, un référendum juste n’est peut-être à l’avantage d’aucune des deux parties. Le SPLM craint que de nombreux PDI ne votent en fait en faveur de l’unité s’ils sont assurés de jouir de la sécurité du travail et de l’éducation dans le Nord. En septembre 2006, l’Organisation internationale pour la migration a découvert que 25% des PDI dans le Nord n’avaient aucune intention de retourner dans le Sud, et que le nombre des Sud Soudanais dans le Nord était en constante augmentation.

D’un autre côté, le NCP est préoccupé, car si les PDI sont encouragés à se souvenir des souffrances et des mauvais traitements qu’ils ont subis pendant plusieurs décennies de la part du Nord, ils risquent de voter en faveur de la sécession ce qui entrainerait un contrôle plus strict des ressources de la part du Sud, ce que le Nord, bien entendu, ne voit pas d’un bon œil.

Reconnaissant la nécessité d’un partage équitable des richesses, l’Accord de paix global a ordonné que l’attribution des richesses « soit basée sur la prémisse en vertu de laquelle toutes les régions du Soudan ont droit au développement ».  Dans les faits, le régime actuel doit encore tenir sa promesse et en particulier, remettre une part équitable des revenus pétroliers. Ces revenus sont nécessaires pour assurer le renforcement des capacités dans le Sud ; sans eux les Sud Soudanais qui pourraient choisir de retourner dans le Sud, n’auraient rien vers quoi revenir. Infrastructure, sécurité et stabilité socioéconomique sont des facteurs impératifs pour qu’ils aient une possibilité de jouir des effets de l’indépendance et de la sécession, sans cela les PDI qui retourneraient dans le Sud n’auraient aucune garantie d’emploi et leurs enfants n’auraient peut-être même pas accès à l’éducation.

Citoyenneté

Si le Sud Soudan se sépare du Nord, ce ne sera pas la première fois au cours des dernières années qu’une nation africaine fait face à une crise de citoyenneté. Il est possible d’effectuer des comparaisons avec l’expérience Erythrée-Ethiopie. En 1993, suite à un référendum, l’Erythrée s’est séparée paisiblement de l’Ethiopie et les deux parties s’étaient mises d’accord pour respecter les droits des citoyens qui vivaient sur les deux territoires en leur octroyant la double nationalité.3 Au Soudan, aucun accord de ce type n’a été conclu à ce stade. En 1998, néanmoins, un conflit sur des questions de frontières a conduit le gouvernement éthiopien à expulser et à priver de nombreux Erythréens de leur citoyenneté en estimant qu’un vote en faveur du référendum pouvait être considéré comme un vote en faveur du rapatriement vers l’Erythrée. L’Erythrée a également expulsé et privé de leur nationalité les citoyens d’origine éthiopienne. Cependant, de nombreux citoyens des deux nationalités, même s’ils ont été traités comme des étrangers et des citoyens de seconde classe sans protection de leurs droits, et en dernier ressort comme des apatrides, ont décidé de rester sur le territoire de l’autre Etat.

Il est difficile d’estimer à ce stade si les Sud Soudanais seront expulsés du Nord et vice versa, en cas de sécession. Des fonctionnaires de haut rang ont suggéré, même si c’est contraire à l’Accord de paix global, que des Sud Soudanais vivant dans le Nord et qui voteraient en faveur de la sécession, n’auraient pas le droit à la citoyenneté du Nord Soudan.

Et si les PDI Sud Soudanais choisissent de rester dans le Nord, ils continueront à vivre sous la charia dans la mesure où le NCP n’a aucune intention de gouverner un Soudan séculier. On peut se demander jusqu’à quel point les droits humains des Sud Soudanais non musulmans seront protégés, particulièrement s’ils doivent vivre en tant qu’étrangers dans le Nord.4
Le Soudan n’a pas ratifié la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, et en conséquence n’est lié par aucune des obligations des états contractants qui seraient de garantir que les Sud Soudanais puissent obtenir la nationalité Nord soudanaise et ne pas en être privés « pour des raisons d’ordre racial, ethnique, religieux ou politique ». Des tensions religieuses et ethniques peuvent survenir, et il n’est pas inconcevable que certains groupes recourent à la violence. Il n’y a eu à ce stade aucune discussion publique de plans de contingence pour contrecarrer des éruptions violentes ou de nouveaux conflits.
Dans la mesure où l’Accord de paix global a été conçu pour promouvoir l’unité, il ne comporte aucune indication sur la citoyenneté que les Sud Soudanais déplacés pourraient obtenir. A ce jour, ni le Nord ni le Sud n’ont déclaré à quelle citoyenneté la population du nouveau Soudan aurait droit. Si les personnes qui sont originaires du Sud ne peuvent pas choisir leur citoyenneté – c'est-à-dire nationalité nord-soudanaise ou double nationalité – il se peut qu’elles se retrouvent apatrides si elles décident de rester dans le Nord. Elles risquent même de ne pas avoir droit au statut de réfugié si la clause de sécession est appliquée. Les Sud Soudanais n’auront plus le droit de revendiquer le statut de réfugié dans la mesure où la sécession marquera la fin de leur lutte et du conflit, ce qui fait qu’ils n’auront plus de ‘crainte bien fondée d’être persécutés’.

Si le HCR décide d’adopter la politique de la sécession et de classifier les Sud Soudanais qui vivent dans le Nord comme un groupe qui n’a plus besoin de protection, alors la communauté internationale devrait au moins leur offrir des solutions durables dans le Sud. S’ils sont forcés au rapatriement, les Sud Soudanais auront des besoins énormes, de maisons, de moyens de subsistance et du sentiment d’appartenir à une communauté.

Taghrid Hashim Ahmed (ahmed.taghrid@googlemail.com) est diplômé en relations internationales et développement international et possède un Master en Conflit contemporain et violence.


1 Voir CPA Monitor, octobre 2010,  p12, 103. http://tinyurl.com/CPAMonitor-Oct2010

3 Voir  l’article de Katherine Southwick sur Ethiopie-Erythrée: l’apatridie et la succession d’Etats dans RMF 32 sur : http://www.migrationforcee.org/pdf/MFR32/05.pdf

4 A la date de novembre 2010, le HCR était en discussion sur un certain nombre de sujets  avec à la fois les dirigeants Nord et Sud Soudanais, l’Union africaine et l’UNMIS, mais n’avait pas été sollicité pour participer officiellement en tant qu’expert consultatif au groupe de travail sur la citoyenneté. Voir également : http://untreaty.un.org/ilc/summaries/3_4.htm  en ce qui concerne la Commission du droit international sur ‘la nationalité en relation avec la sécession des états’

 

 

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