Approches multiples du rapatriement des réfugiés congolais

Les parties prenantes au conflit congolais encouragent depuis longtemps la peur de « l’autre » et la soif de vengeance ; ces attitudes doivent être combattues pour que la paix ait une chance d’aboutir.

L’année 2010 a vu un flux régulier de réfugiés congolais revenir de Zambie et les débuts d’un processus officiel de retour des réfugiés des camps du Burundi. Par contre, les retours de Tanzanie vers le Sud-Kivu sont au point mort en raison de l’insécurité persistante dans les zones de retour, tandis que le processus de rapatriement au Nord-Kivu reste hautement politisé. Le retour des réfugiés congolais du Rwanda et du Burundi devrait se montrer problématique en raison des minorités ethniques concernées, et le peu de stabilité que la région connaît actuellement risque de se détériorer. Les ONG'ont un rôle important à jouer pour faire progresser la réconciliation et la cohésion sociale et promouvoir des relations saines dans les zones de retour des réfugiés.

Cet article explore les initiatives de Search for Common Ground (SFCG) visant à éduquer les réfugiés et les communautés des zones de retour au sujet des conditions de rapatriement et de réintégration, à instiller la confiance entre différentes ethnies et à changer les attitudes pour mieux combattre les violences sexuelles et sexistes. L’approche de SFCG se base sur l’expression artistique pour enseigner la gestion des conflits et met en lumière comment les initiatives internationales non gouvernementales peuvent répondre aux besoins psycho-sociaux des réfugiés de retour, de même que des résidents.

En RDC, SFCG (connu localement sous le nom de Centre Lokolé) collabore avec 100 partenaires locaux, dont des stations de radio, des associations de jeunes personnes, des organisations religieuses et des réseaux de la société civile. Depuis 2005, le Théâtre participatif pour la transformation des conflits a touché un public de 1,6 millions de Congolais dans les camps de réfugiés et les zones de retour dans l’Est de la RDC.1 Les acteurs formés par SFCG aux techniques de transformation des conflits et de théâtre participatif visitent les camps de réfugiés de Tanzanie, du Burundi et de Zambie, de même que les zones de retour des réfugiés dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de Katanga (principalement dans les territoires d’Uvira et de Fizi au Sud-Kivu, de Moba et de Pweto au Nord-Katanga, ainsi qu’au Nord-Kivu).

Le théâtre intégré illustre les conflits que les populations ciblées ont vécus et, avec la participation du public, les acteurs recherchent des solutions non violentes aux conflits, tout en transmettant des informations-clés et démontrant des attitudes et comportements collaboratifs. Les troupes de théâtre jouent sous la bannière Jirani ni Ngugu (« Mon voisin est mon frère » en swahili), le nom du populaire feuilleton radiophonique de SFCG qui aborde la question du conflit et les solutions collaboratives. Les conflits les plus courants abordés par les performances théâtrales sont les litiges fonciers ou immobiliers, les conflits associés à l’assistance pour les rapatriés, les tensions intercommunautaires, les rumeurs et la manipulation, et les conflits associés à l’insécurité endémique et la fragilité de l’État.

SFCG produit également des programmes radiophoniques et télévisés qui promeuvent la réintégration pacifique des rapatriés congolais dans l’Est de la RDC. Ces initiatives cherchent à communiquer des informations exactes, impartiales et responsables sur le processus de rapatriement, tout en mettant en exergue des approches non violentes et collaboratives envers les conflits. Une évaluation menée en 2008 par UNHCR sur le travail de SFCG au sujet du processus de rapatriement a révélé que ces programmes favorisaient la dissémination des connaissances sur les ressources pour résoudre les conflits, des informations sur le rapatriement et des méthodes non violentes de réconciliation. Elle a également mis en lumière des changements d’attitude favorables en matière de tensions ethniques, de litiges fonciers et d’intégration des réfugiés rapatriés.2

Réfugiés, retour et consolidation communautaire

Les initiatives de SFCG axées sur les réfugiés ont une portée transfrontalière, telles que le programme radiophonique hebdomadaire Wote Tukutane Tena (« Nous nous rencontrons tous de nouveau »), diffusé dans les zones de retour du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Nord-Katanga, de même que sur les stations radiophoniques des camps de réfugiés du Burundi, de Tanzanie et de Zambie.

Les réfugiés de retour se heurtent fréquemment aux réactions défavorables des résidents qui sont restés au pays, basées sur une situation perçue comme « injuste » dans laquelle les réfugiés ont bénéficié d’une assistance dans les camps et pendant les processus de rapatriement et de réintégration, tandis que les résidents ont souffert pendant la guerre sans recevoir aucune assistance. Pour résoudre ces tensions, il est nécessaire d’adopter une approche qui s’appuie sur un intérêt commun et qui porte sur un avenir prospère partagé impliquant aussi bien les résidents que les rapatriés. Le projet de « crédit-chèvre » de SFCG, mené en collaboration avec notre partenaire local GASAP, vise à bâtir la confiance entre les communautés divisées. La communauté forme un comité pour identifier, parmi ses membres, les individus qui se trouvent le plus dans le besoin. Ces derniers reçoivent alors une chèvre. Une fois que la chèvre donne naissance à un petit, celui-ci est donné à une autre personne ayant également été identifiée comme démunie mais qui est issue d’un sous-groupe différent de la communauté. Ainsi, le projet essaie-t-il de dissiper les tensions basées sur l’ethnicité et l’appartenance tribale, de même que les tensions entre rapatriés et résidents, en faisant des chèvres un centre d’intérêt commun pour ces diverses identités. Le projet constitue un exemple de pratique modèle pour travailler en collaboration en tant que communauté - non seulement en termes de renforcement des moyens de subsistance mais également de médiation des conflits locaux.

SFCG utilise également la programmation médiatique et l’organisation d’événements culturels pour réintégrer les anciens enfants soldats et établir des relations entre jeunes personnes dans les zones de retour des réfugiés. Une équipe de jeunes journalistes de SFCG produit un spectacle hebdomadaire qui souligne l’impact des conflits sur les enfants congolais. En 2007, SFCG a organisé un festival de percussions à Baraka et Fizi, auquel ont participé des Burundais et des Banyamulenge, ainsi que d’autres groupes issus de tribus du Sud-Kivu. En 2008, ce festival a réuni 100 Rwandais, Burundais et Congolais du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, qui sont partis en tournée dans ces deux dernières régions ainsi qu’au Rwanda.

Combattre les violences sexistes

Une étude conduite au Sud-Kivu en avril 2010 par Harvard et Oxfam a mis en lumière le fait que, en plus des viols commis fréquemment par des militaires, les violences sexuelles perpétrées par des civils sont aujourd’hui considérées comme un problème majeur.3 Cette étude a révélé que le nombre de viols commis par des militaires et signalés avait chuté de 77 % entre 2004 et 2008, alors qu’au cours de cette même période le nombre d’attaques sexuelles perpétrées par des civils avait augmenté, incroyablement, de 1 733 %.

SFCG utilise des productions radiophoniques et télévisées, le théâtre participatif et des approches de sensibilisation auprès de l’armée congolaise pour combattre les violences sexuelles et sexistes. De surcroît, l’association a mis en place un projet de cinéma itinérant pour atteindre des centaines de milliers de personnes dans les zones de retour des réfugiés, où elle projette le film Fighting the Silence (« Combattre le silence ») devant un large public ou des petits groupes.4 Au début 2010, ce sont quelque 400 000 personnes qui avaient vu le film dans les deux Kivu et dans le Nord-Katanga. Ce film clarifie des questions essentielles portant sur le viol et les violences sexuelles et explique la loi de 2006 pour lutter contre ce type de violences. Après chaque projection, des discussions sont organisées, sous le contrôle d’un animateur, pour aborder les attitudes qui favorisent souvent l’impunité, la complicité et même le rejet des victimes de viol. Les quatre versions du film ciblent le grand public, les jeunes, les couples et les autorités politiques et militaires.

Les enquêtes menées auprès du public avant et après la projection indiquent une forte acquisition de connaissances et un changement d’attitude. Suite à une projection à Uvira pour un public de militaires, un soldat a par exemple fait le commentaire suivant : « Pour moi, cette mère [qui témoignait] ressemble à ma mère. Je ressens une douleur incroyable pour ce qui lui est arrivé... il est indispensable que la loi soit respectée et appliquée pour tout individu [qu’il soit civil ou militaire]. »

Les projections s’inscrivent dans le cadre d’un projet plus global de protection civile mis en œuvre par SFCG en collaboration avec FARDC, l’armée nationale qui est continuellement attaquée pour les mauvais traitements qu’elle inflige aux civils. Le projet forme des comités au sein des brigades et des bataillons de cinq provinces, puis les équipe avec des outils multimédia éducatifs et interactifs qu’ils devront utiliser au sein de leur unité.

Bien que l’éradication des violences sexuelles au Congo soit un combat des plus difficiles, le changement d’attitude des soldats vis-à-vis du viol en constitue un élément essentiel, qui aidera à faire évoluer les normes sociales. En 2009, SFCG a mené une enquête auprès de 300 civils et 100 soldats à Goma en vue de mesurer l’impact du théâtre participatif et des autres séances de sensibilisation organisées en partenariat avec l’armée congolaises. Une fois, une troupe de théâtre civile-militaire a joué quelques saynètes sur les violations des droits humains et les conflits au sein de leur unité, après lesquelles 72 % des soldats interrogés ont avoué s’être identifiés au conflit et 96 % ont affirmé qu’ils en avaient par la suite appliqué les leçons. En réponse à la question leur demandant pourquoi les séances de théâtre les marquait plus profondément que les parades militaires ordinaires au cours desquelles le commandant donnait des ordres aux soldats, un tiers des militaires interrogés a donné pour raison l’aspect « pratique » du théâtre, tandis qu’un sixième d’entre eux a affirmé que le théâtre engageait bien plus leur conscience que le simple fait de recevoir des ordres.

Fondements pour une paix durable

La consolidation de la paix implique de nombreux éléments qui se chevauchent. En écoutant les programmes radiophoniques produits par SFCG et en assistant aux séances de théâtre participatif, les réfugiés retournent dans leur communauté avec de meilleures compétences en matière de résolution des conflits, pour mieux répondre aux défis qu’ils rencontreront inévitablement à leur retour. Les approches de SFCG concernent la réintégration psycho-sociale des réfugiés. De nombreux obstacles demeurent – tels que les compétences insuffisantes des journalistes radio locaux et le soutien limité offert aux initiatives ciblant spécifiquement les réformes et les formations au sein des forces armées et policières du Congo – mais la situation s’améliore toutefois. Si nous voulons construire les fondements d’une paix durable, les résidents tout comme les rapatriés doivent bénéficier de notre appui afin de créer des communautés solides et collaboratives.

Vanessa Noël Brown (VanessaB@gmail.com) travaille actuellement comme agent d’aide aux réfugiés basée aux États-Unis ; auparavant, elle était chercheuse invitée chez Search for Common Ground au Maroc.

Boîte à outils

SFCG a mis au point un large éventail de méthodes opérationnelles, dont des techniques bien connues de résolution des conflits, telles que la médiation et la facilitation, et d’autres moins traditionnelles, telles que des productions télévisées, des feuilletons radiophoniques et l’organisation communautaire. Nous nous sommes rendu compte que l’utilisation simultanée de plusieurs outils en augmentait l’efficacité globale.

De plus amples informations et des liens vers les outils de formation sont disponibles sur :
http://www.sfcg.org/programmes/drcongo/tools.html

1SFCG s’est doté de 6 bureaux dans toute la RDC, et de 70 employés congolais. Les exemples de programmes ont été fournis par Lena Slachmuijlder, directrice pays pour SFCG en RDC, et Mike Jobbins, directeur de projets.

2 Gordan, G, ‘UNHCR Evaluation of SFCG Programming in the DRC’ (Évaluation par l’UNHCR de la programmation de SFCG en RDC) : http://www.sfcg.org/sfcg/evaluations/drc.html

 

 

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