Trop important pour échouer

En RDC, la mission intégrée de l’ONU et le pilotage de la réforme humanitaire se sont montrés utiles et innovants dans un contexte aux multiples difficultés.

Dans le bilan de l’Assemblée générale de l’ONU sur les progrès des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), les indicateurs de la RDC figurent parmi les plus insatisfaisants du monde - et non seulement dans l’est du pays où le monde est conscient des conflits et de la crise humanitaire, mais aussi dans l’ouest. Il est bien connu que la RDC possède tous les atouts pour devenir un moteur économique pour l’Afrique, mais les entraves aux progrès sont, principalement, la gouvernance et l’autorité de l’État, la sécurité et les infrastructures, qui sont tous chroniquement fragiles.

Du point de vue de la communauté internationale, il existe un manque profond de leadership et de vision politique. Pourtant, afin de réaliser de réels progrès, il est essentiel que les autorités locales et nationales s’engagent dans la reconstruction et le développement, et la Stratégie internationale de soutien à la sécurité et à la stabilisation (ISSSS - International Security and Stabilization Support Strategy)1, mise en place par l’ONU et qui constitue aujourd’hui un élément-clé de l’initiative STAREC du gouvernement, une composante importante de ce processus.

La sécurité, la stabilisation et la reconstruction sont les objectifs affichés des intervenants humanitaires. Ainsi, les mesures de transition devraient-elles être promues au-delà de l’intervention humanitaire immédiate. Ceci n’a en aucun cas été facile à gérer, et dans certains pays il en a résulté une instrumentalisation de l’action humanitaire à des fins politiques ou militaires. En RDC, le Conseil de sécurité de l’ONU a fini par reconnaître que la protection des civils est la priorité suprême de la mission de l’ONU (MONUSCO, anciennement MONUC). L’on peut donc affirmer que la communauté humanitaire a été capable de tirer profit du soutien des acteurs politiques et militaires de l’ONU pour parvenir à ce résultat.

Le plus grand besoin de la RDC est sans doute la réforme du secteur de la sécurité : armée, police, justice. C’est pourtant dans ce domaine que le moins de progrès tangibles ont été effectués et où la communauté internationale s’est montrée le moins efficace. En dehors des difficultés internes propres à la RDC, les acteurs internationaux apportent leurs propres obstacles aux progrès ainsi que leurs diverses visions, dénuées de coordination, sur la manière dont ces progrès devraient être réalisés, ou encore leurs propres structures et leur propre matériel, etc. Néanmoins, il a été reconnu que la protection physique des civils est un objectif militaire, ce qui a entraîné le recours aux forces militaires de l’ONU pour protéger la population civile. Des structures novatrices ont été mises en place, telles que des équipes conjointes de protection, une planification d’urgence militaire ONU/humanitaire et des bases opérationnelles mobiles, qui permettent aux acteurs humanitaires de demander le déploiement de soldats de l’ONU pour empêcher les attaques des milices et de l’armée nationale, et autour desquelles les PDI se rassemblent régulièrement.

De récents incidents (à la mi-2010), au cours desquels les forces militaires internationales ont été critiquées pour ne pas avoir empêché ou réagi aux viols à grande échelle dans le Nord-Kivu, révèlent à quel point il est difficile d’être au bon endroit au bon moment. Les distances sont immenses, les routes impraticables et la volonté de réussir ne peut pas toujours venir à bout de ces obstacles. La RDC est dotée de 20 000 soldats de la paix de l’ONU pour une superficie de 3,4 millions km2 contre plus de 40 000 soldats de l’OTAN envoyés au Kosovo, un territoire de seulement 10 000 km2.

L’ONU a choisi la RDC pour piloter le programme de réforme humanitaire. Le fait que MONUC soit une mission intégrée, aux aspects à la fois civils et militaires, a posé des problèmes au Coordinateur humanitaire mais a aussi facilité la logistique et rendu possible l’organisation d’activités innovantes pour protéger les civils.

Du côté de la coordination, étant donnée l’étendue des problèmes rencontrés par la RDC et ses habitants et la variété des acteurs humanitaires qui y travaillent, il a fallu créer ou adapter les outils qui semblent capables de mettre un peu d’ordre dans l’intervention humanitaire. Parmi ces outils se trouvent un réseau complet de clusters, les Comités provinciaux inter-agences (CPIA), le Plan d’action humanitaire (PAH) - le plan national et interorganisations établissant les priorités et les objectifs stratégiques humanitaires et donnant une ébauche des activités programmatiques qui en découleront dans chaque province - et le Fonds de financement commun (FFC), sur le principe que la promotion des synergies est le meilleur moyen d’obtenir un impact. Le FFC avait été établi en 2006 afin, entre autres raisons, de concentrer l’aide humanitaire sur les besoins prioritaires changeants, de rendre les financements plus prévisibles et de résoudre les principales carences qui proviennent souvent d’une affectation des fonds excessive par secteur et par région. Il permet aux donateurs d’apporter des financements qui contribueront à une application souple de la stratégie d’intervention énoncée dans le PAH.

Le PAH a été conçu comme un plan exhaustif en collaboration complète avec les agences de l’ONU, les ONG nationales et internationales, les donateurs, des fonctionnaires du gouvernement congolais et les autorités locales. Une innovation importante e été d’obtenir l’accord des donateurs pour allouer des fonds à des paramètres objectifs de besoin humanitaire pour les activités des clusters par région. Ceci a entraîné l’élimination des exercices consistant à concevoir des projets spécifiques puis à s’accorder sur ceux-ci plusieurs mois avant même que les financements soient disponibles - des exercices qui prenaient beaucoup de temps, qui étaient souvent déplaisants et qui n’avaient finalement aucune pertinence.

Dans le cadre du PAH, les objectifs et les activités sont définis au niveau du cluster, puis sont sélectionnés - dans les régions et pas seulement centralement - par les CPIA avant d’être soumis à un Conseil consultatif présidé par le Coordinateur de l’action humanitaire des agences (représentant les clusters) et des représentants-clés des donateurs et des ONG. Il s’ensuit un processus pour vérifier la viabilité des activités proposées, conformément au système d’assurance qualité des programmes. En termes concrets, cela signifie que moins de trois mois s’écoulent entre le premier appel à propositions et le moment où les financements sont mis à disposition, une échelle de temps qui fait bonne figure en comparaison à celle des donateurs bilatéraux.

Ainsi le PAH est-il conçu aussi bien autour de l’efficacité - en termes de définition des objectifs humanitaires généraux - que de l’efficience, et le FFC est l’un des véhicules au travers lequel il est opérationnalisé. Bien qu’il existe une tendance générale à penser que tout pourrait être financé par le biais du FFC, en fait seul un quart environ du financement humanitaire total destiné à la RDC passe par celui-ci. Il joue toutefois un rôle prépondérant dans le processus, et il a en particulier mis en place des arrangements permanents avec le BCAH et l’UNICEF pour un mécanisme de financement des interventions rapides permettant de libérer la plupart des fonds dès le début desdites interventions (Rapid Response Reserve, RRR - la Réserve pour les interventions rapides). Ainsi, lorsqu’a lieu un déplacement de population, les fonds qui peuvent être rapidement alloués sont déjà disponibles.

Pourtant en RDC, comme dans toute autre opération humanitaire, il a été incroyablement difficile de définir ou de mesurer l’impact de nos actions en termes spécifiques. Les actions humanitaires continuent d’être évaluées, en général, par les actions elles-mêmes plutôt que par leur impact. Il est toutefois encourageant de constater que l’engagement des donateurs pour la RDC a augmenté, en débit de la nature insoluble des problèmes du pays et même si celui-ci ne se trouve pas au centre actuel de la géopolitique. Les financements apportés par les donateurs sont passés d’environ 120 millions de dollars en 2004 à plus de 650 millions de dollars en 2009.

Les élections de 2009 ont suscité un intérêt considérable de la part de la communauté internationale, ce qui a permis à l’ONU de promouvoir des mesures novatrices pour passer de l’action principalement humanitaire à des actions concernant des questions plus larges telles que la gouvernance, la justice et la sécurité, ce qui pourrait potentiellement permettre à la RDC d’améliorer la vie de ses habitants. L’ISSSS, élaborée distinctement de l’opération humanitaire, a réuni les acteurs militaires, politiques et du développement de l’ONU et de la communauté internationale de même que les autorités locales et nationales dans l’est du pays, ravagé par les conflits.

En considérant la RDC et l’état alarmant dans lequel elle se trouve, nous ne pouvons pas prétendre avoir atteint nos objectifs. Mais des progrès ont été effectués pour mettre en place plusieurs mécanismes d’intervention innovants qui ont permis de renforcer l’impact de l’action internationale, de réduire les souffrances de la population congolaise et d’établir la base de la stabilité dans les régions les plus sévèrement touchées du pays. Bien que tous les contextes soient différents, des enseignements peuvent être tirés pour d’autres situations où les besoins humanitaires sont complexes.

 

Ross Mountain est le directeur général de DARA (www.daraint.org). Il a précédemment travaillé comme Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’ONU et Coordinateur de l’action humanitaire en RDC de 2004 à 2006. Il est joignable sur

1 L’ISSSS se compose de cinq priorités : améliorer la sécurité ; appuyer le dialogue politique ; renforcer l’État ; soutenir la réintégration, le relèvement et la réconciliation ; et prévenir/combattre les violences sexuelles.

 

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