La Convention de Kampala et la protection contre le déplacement arbitraire

La Convention de Kampala fait œuvre de pionnier lorsqu’elle transforme le droit à la protection contre le déplacement arbitraire en une norme légalement contraignante.

L’une des caractéristiques surprenantes de la Convention de l’Union Africaine (UA) pour la protection et l’assistance des Personnes déplacées internes (Convention de Kampala)1 est qu’elle va au-delà de la portée que son titre implique et qu’elle contient également le droit à la protection contre le déplacement arbitraire. Ce qui inclut à la fois le déplacement interne et le déplacement au-delà des frontières internationales. La Convention complète donc, sciemment ou non, la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés.

L’article 1 de la Convention de Kampala définit à la fois ‘le déplacement interne’ et ‘le déplacement arbitraire’ mais ces deux termes ne se recoupent que partiellement et peuvent différer dans leur nature. Le déplacement interne, selon la Convention, peut résulter soit d’un déplacement arbitraire tel que défini à l’article 4, soit d’autres causes de mouvement involontaire (par exemple, une catastrophe naturelle), pour lesquelles les personnes restent à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’un Etat. C’est alors la situation dans laquelle se trouvent les personnes elles-mêmes qui entraine l’application de toutes les autres dispositions de la Convention, plutôt qu’un ‘droit humain’.

Le déplacement arbitraire, d’autre part, est défini à l’article 3 de la Convention  dans des termes qui appartiennent traditionnellement aux droits de l’homme, en plaçant sur les États parties la responsabilité de s’abstenir, d’interdire et de prévenir tout déplacement arbitraire de populations, et en ajoutant des détails relatifs aux causes de ces déplacements qui pourraient être imputées aux États eux-mêmes ou à des acteurs non étatiques.

L’article  4 proclame que « toute personne a le droit d’être protégée contre le déplacement arbitraire ». Cet article enjoint aux États de respecter leurs obligations en vertu du droit international, notamment des droits de l’homme et du droit humanitaire, afin de prévenir et d’éviter les conditions pouvant conduire au déplacement arbitraire de personnes et de prévoir la mise en place d’un système précoce d’alerte à l’échelle du continent.

Les catégories de déplacements arbitraires interdits incluent notamment:

  • Le déplacement basé sur les politiques de discrimination raciale ou autres pratiques similaires, visant à altérer la composition ethnique, religieuse ou raciale de la population ;
  • Le déplacement individuel ou massif de civils en situation de conflit armé, sauf pour des raisons de sécurité des civils impliqués ou des impératifs d’ordre militaire conformément au droit international humanitaire ;
  • Le déplacement utilisé intentionnellement comme méthode de guerre ou autres violations du droit international humanitaire dans des situations de conflit armé ;
  • Le déplacement issu des situations de violence ou de violations généralisées des droits de l’homme ;
  • Le déplacement résultant de pratiques néfastes ;
  • L’évacuation forcée dans les cas de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou par d’autres causes si les évacuations ne sont pas exigées par la sécurité et la santé des personnes affectées ;
  • Le déplacement utilisé comme punition collective ;

L’article 4 poursuit en établissant une disposition spéciale à l’égard des communautés qui ont un attachement ou une dépendance particulière à la terre (comme les peuples indigènes ou les bergers nomades). Cet article conclut en demandant aux États membres de l’UA de déclarer comme infractions punissables par la loi, les actes de déplacement arbitraire pouvant être assimilés à un génocide, à des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité.

La Convention de Kampala a été fortement influencée par un instrument ‘non contraignant’ du droit international, à savoir les Principes directeurs relatifs au déplacement interne, qui sont considérés aujourd’hui par beaucoup comme une loi coutumière internationale.2  La Convention de Kampala suit la même approche en trois étapes que les Principes directeurs. La première partie traite de la protection contre le déplacement arbitraire, la seconde des droits des personnes déplacées pendant leur déplacement, et la dernière de l’identification de solutions à l’intention des personnes déplacées internes.

Une comparaison entre la Convention de Kampala et les Principes directeurs en relation au droit d’être protégé contre le déplacement arbitraire révèle un certain nombre de différences. La Convention est plus spécifique sur des questions de responsabilité individuelle et de responsabilité des acteurs non-étatiques, en particulier en ce qui concerne les compagnies multinationales et les compagnies militaires privées ou de sécurité. Elle adopte une approche plus analytique en matière de déplacement dans le contexte des conflits armés et place également davantage d’importance sur le déplacement résultant de l’exploitation des ressources économiques et naturelles et de projets de développement. Bien plus, elle demande l’établissement d’un système de préparation aux catastrophes et de mesures de gestion pour contribuer à prévenir et atténuer le déplacement.

Dans l’élaboration des Principes directeurs, l’analyse légale concernant la protection contre le déplacement arbitraire3 comprenait une révision du contexte légal international, notamment des principes relatifs à la violence et aux menaces affectant la vie et la sécurité personnelle, la discrimination, l’implantation de colons, l’éviction et la perte des terres et des habitations, l’impact négatif des projets de développement, les dommages à l’environnement et les obligations des acteurs non-étatiques. Elle comprenait également un examen exhaustif de tous les principes relatifs à la liberté de mouvement et au choix de la résidence, à la protection contre les immixtions relatives au domicile, au droit au logement, à l’interdiction des mouvements forcés dans les situations d’urgence y compris dans les situations de conflits armés et à l’interdiction du génocide.

Cette analyse légale concluait qu’une interdiction explicite du déplacement arbitraire n’était contenue que dans le droit international humanitaire et dans le droit relatif aux populations indigènes. Dans le droit des droits de l’homme, par contraste, cette interdiction n’était qu’implicite dans plusieurs dispositions, en particulier dans le droit à la liberté de mouvement et au choix de la résidence, dans la liberté contre les immixtions relatives au domicile et le droit au logement. Ces droits, néanmoins, ne fournissaient pas une couverture adéquate et exhaustive pour toutes les instances du déplacement arbitraire, dans la mesure où ils ne définissaient pas les circonstances dans lesquelles le déplacement pouvait être toléré. C’est pourquoi, l’analyse suggère qu’il « est nécessaire de définir de manière explicite ce qui est à l’heure actuelle inhérent au droit international – un droit d’être protégé contre le déplacement arbitraire. Cela devrait, en particulier, spécifier les motifs et les conditions inacceptables de déplacement, et les garanties minimales en termes de procédures à respecter au cas où un déplacement devrait intervenir ». C’est ce que les Principes directeurs 5 et 9 ont pour objectif de fixer.

Lors des premiers débats pour savoir si un droit de ne pas être déplacé ou un droit de rester devrait exister ou non, certains spécialistes ont argumenté qu’un tel droit fournirait aux gouvernements des pays développés, lassés par les réfugiés, un prétexte pour renforcer les efforts destinés à les contenir à l’intérieur de leurs pays d’origine. Les Principes directeurs avaient prévu cela, et avaient disposé que rien dans leur contenu ne devrait compromettre les obligations en vertu du droit international sur les réfugiés.

La Convention de Kampala a transformé le droit à la protection contre le déplacement arbitraire contenu dans les Principes directeurs en une norme légalement contraignante. Même s’il s’agit uniquement d’un instrument régional, il est néanmoins indicateur du fait que les États ont reconnu ce droit parce qu’il existait une lacune légale qu’il convenait de combler. Les agences internationales humanitaires et des droits de l’homme ainsi que les ONG disposent d’un nouvel instrument de plaidoyer pour les aider à traiter les causes de déplacement. Le respect et la mise en œuvre de ce droit tout neuf apporterait une énorme contribution à la réduction des flux de réfugiés et des déplacements internes.

 

Maria Stavropoulou (maria.stavropoulou@gmail.com) a travaillé depuis 1993 avec le HCDH, le HCR et les Nations Unies. Au moment d’écrire cet article elle travaillait pour le Département des Affaires Politiques des Nations Unies.

 

 

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