Des conflits fonciers et de propriété font obstacle au retour et à la réintégration

Une évaluation menée par le HCR en 2009 dans des camps de PDI dans le Nord-Kivu montre que l’accès à la terre est le second facteur, juste après la sécurité, qui empêche les gens de revenir dans leur zone d’origine.

Le 17 février 2010, le HCR, le Rwanda et la RDC ont signé une Accord tripartite1 en vue du rapatriement réciproque des réfugiés entre le Rwanda et la RDC. Cet accord a néanmoins soulevé des inquiétudes concernant les conflits fonciers qui ont déjà atteint des proportions alarmantes sur les territoires de Masisi et Rutshuru, et sur la place qu’ils ont dans le cadre du processus général de paix au Nord-Kivu.

Selon les communautés locales, le retour massif de réfugiés ravivera la compétition pour l’accès aux terres. Dans les situations post-conflictuelles, l’accès à la terre devient un facteur déterminant pour la cohabitation entre les communautés et, surtout pour la reconstruction d’une communauté, c’est pourquoi l’émergence de conflits fonciers est tout à fait compréhensible dans ce type de contextes. Au Nord-Kivu, les conflits fonciers– souvent liés à l’ethnicité – sont un phénomène très ancien. La nature variée des conflits fonciers actuels nous donne de nombreuses indications sur le territoire qui est en jeu pendant cette période de pacification.2 De nombreux conflits fonciers proviennent de la revendication  du droit de restitution après une longue absence au cours de laquelle la terre a été transformée en pâturage ou en terres arables, ou simplement utilisée pour l’habitation.

Une autre cause de conflit est l’acquisition de terres par de très gros propriétaires fonciers. Dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, les terres ont été acquises par des personnes influentes pendant ces périodes de crise, parfois à la faveur de procédures douteuses. A la fois les PDI et la population locale qui trouvent ces acquisitions injustes,  remettent en cause la légitimité de ces nouveaux propriétaires et cela se termine souvent par des confrontations violentes ou des arrestations arbitraires.  La contradiction entre loi et tradition en ce qui concerne la gestion de la terre est une autre source de conflit. Malgré l’existence de lois foncières, la terre au Nord-Kivu et dans la plus grande partie du pays est gérée et transférée selon la loi coutumière alors que l’état ne reconnait que les titres de propriété émis par le bureau de l’administration de la propriété. La procédure d’enregistrement a permis aux groupes les mieux informés de se présenter devant les autorités d’administration des terres pour enregistrer à leur nom des terrains alors que les occupants antérieurs étaient déplacés.

Finalement, l’implication des militaires, souvent d’anciens membres des groupes rebelles, devient un phénomène croissant dans les territoires de Rutshuru et de Masisi. Un nombre significatif de concessions foncières se trouvent sous le contrôle d’anciens membres des milices qui ont maintenant intégré l’armée régulière. La population locale dispute souvent la validité de ces acquisitions qui selon elle, vont à la fois à l’encontre des principes juridiques et coutumiers.

Stratégies existantes

Avec la résurgence des conflits fonciers, UN-HABITAT, en partenariat avec le HCR a mis en place un programme pour prévenir les conflits fonciers qui ont lieu dans le contexte du retour et de la réintégration depuis mai 2009 et le cas échéant jouer un rôle de médiateur. L’objectif est de proposer aux communautés des méthodes alternatives pour résoudre les conflits alors que le système légal est encore paralysé par des années de guerre ou qu’il est tout simplement inaccessible aux populations rurales, particulièrement dans les zones de retour. Au Nord-Kivu, par exemple, plus de dix organisations locales qui travaillent à la prévention des conflits fonciers se sont rassemblées au sein d’un cadre de coordination sous l’autorité du ministère provincial responsable des questions de propriété. Un centre de médiation foncière a été mis sur pied par UN-HABITAT dans la ville de Kitshanga dans le territoire de Masisi. Les employés de ce centre organisent des formations et fournissent des informations sur des questions de propriété de la terre avec l’intention de prévenir des conflits fonciers mais aussi tentent de proposer une médiation à la demande des différentes parties impliquées lorsque les compétences des chefs traditionnels et des autres instances communautaires sont dépassées par un conflit foncier. La stratégie est centrée sur la mise à disposition d’équipes de médiation des conflits fonciers qui ont un certain degré de mobilité et de flexibilité. Sont également proposées en parallèle des activités destinées à renforcer les capacités, des chefs traditionnels et des organisations locales dans la prévention et la résolution des conflits fonciers.

D’autres organisations internationales comme le Norwegian Refugee Council et les organisations locales investissent également dans la résolution des conflits fonciers par le biais d’activités locales de réconciliation et des mécanismes d’aide juridique.
 
Faiblesse des moyens disponibles

Le mécontentement relatif au rapatriement de 53 000 Congolais qui vivaient dans des camps au Rwanda, s’est accru avec la signature de l’Accord tripartite. Des sentiments d’hostilité commencent déjà à s’élever dans les territoires du Nord-Kivu où la communauté rejette ces réfugiés, considérés par certains chefs traditionnels comme n’étant pas Congolais. De plus, certaines agences onusiennes, y compris UN-HABITAT et le HCR, ont été accusées d’avoir des intentions cachées et de vouloir favoriser l’implantation de Rwandais sur le territoire congolais. Le mouvement de rapatriement risque ainsi de se heurter de plein fouet au problème de la terre, et il y a des chances que les gens refusent de rentrer ou qu’ils exigent un accès à la terre au nom de considérations ethniques.  Malgré les avertissements donnés par la communauté internationale, le gouvernement provincial tend à minimiser la question en argumentant que « la terre appartient à l’état ».

Les agences qui s’investissent dans la prévention des conflits fonciers et la promotion d’une bonne administration du territoire, ne procurent pas suffisamment de ressources pour pouvoir résoudre les nombreux conflits fonciers qui émergent dans les zones de retour. Malgré la demande pressante d’UN-HABITAT de reconnaître l’importance du problème foncier dans le cadre du processus de paix et de reconstruction économique, on continue d’observer le peu d’engagement de la communauté internationale,  plus particulièrement des donateurs, dans le secteur foncier. Néanmoins, l’inclusion des questions foncières à la Stratégie internationale pour le soutien à la stabilisation et à la sécurité3, particulièrement dans sa composante ‘retour et réintégration’, est un premier pas pour faire prendre conscience à la communauté internationale de l’importance de la question foncière dans le processus de reconstruction et d’instauration de la paix dans les zones touchées par les conflits armés.

La principale loi foncière congolaise date de 1973, et ne correspond plus aux réalités sociopolitiques du pays. En outre, elle n’a jamais été appliquée de manière effective dans les zones rurales, généralement parce qu’elle n’était pas bien connue ou parce qu’elle n’était pas adaptable localement. Il faut la réévaluer pendant cette période post-conflictuelle. Par exemple, cette loi ne propose aucune perspective d’harmonisation entre les coutumes traditionnelles et le droit, alors que les chefs traditionnels jouent encore un rôle significatif dans la gestion de la terre et la résolution des disputes foncières à l’intérieur de leurs communautés. La gestion de la terre est encore centralisée au sein d’une administration du territoire qui est pratiquement  inexistante dans des zones rurales où les populations de retour ont besoin d’assistance pour faire valoir leurs droits à la terre ou pour simplement pouvoir se réinstaller.

Une solution durable au problème foncier nécessiterait une approche intégrée basée sur le lien entre la terre et le droit relatif aux personnes déplacées et réfugiées. A la date où nous écrivons, les instruments juridiques internationaux qui définissent les droits des personnes déplacées dans l’ensemble de la région des Grands Lacs n’ont toujours pas été appliqués pour garantir le développement de politiques et de cadres légaux permettant de traiter de manière cohérente les droits légaux des personnes déplacées et des réfugiés. Il est nécessaire de renforcer les capacités des autorités politiques et administratives dans le but de promouvoir un environnement favorable au développement d’une politique sur la terre et d’un cadre légal qui offriraient des solutions durables au problème foncier et permettraient le succès des retours et de la réintégration.

Action concertée et coordonnée

Les nombreuses initiatives en cours d’application pour prévenir et résoudre les conflits fonciers doivent s’appuyer sur l’harmonisation et la coordination pour éviter des échecs à un moment où la cohésion sociale de la communauté est encore fragile. Les stratégies mises en œuvre par le gouvernement de la RDC à travers son Programme de stabilisation et de reconstruction dans les zones conflictuelles de l’Est de la RDC (STAREC) pourraient servir de cadre à une approche cohérente et coordonnée du problème foncier. Une telle approche aurait également l’avantage de contribuer à ce que les autorités nationales et provinciales prennent une part de responsabilité dans ce problème.

Pour mieux prendre en compte cette inquiétude, un Groupe de coordination foncière a été mis sur pied sous la direction du Ministère provincial du territoire au Nord-Kivu, de manière à proposer un cadre pour le dialogue et l’harmonisation entre les différentes parties qui travaillent sur la question foncière,  en appliquant une approche intégrée et transversale. Ce groupe comprend des instances étatiques (des ministères provinciaux qui s’occupent de questions foncières et de propriété) et non étatiques, à la fois nationales et internationales.  Il interagit avec les clusters qui travaillent sur des questions humanitaires et de reconstruction des communautés, plus particulièrement avec le cluster protection qui dépend du HCR, le cluster retour et réintégration des communautés et le Groupe de travail sur les abris, grâce à un échange d’information et à des initiatives concernant les violations des droits de l’homme.

La prévention et la résolution effectives des conflits fonciers dans l’Est de la RDC dépendent de l’existence d’une volonté politique. Dans la réforme du territoire qui s’annonce, le  gouvernement de la RDC devrait chercher à intégrer les problèmes fonciers spécifiques aux personnes déplacées et aux réfugiés au processus de paix dans l’Est de la DRC et en particulier à ses liens avec les pays voisins. Un cadre régional de coopération est plus nécessaire que jamais pour développer une vision politique partagée en accord avec le Pacte de stabilité pour les Grands Lacs.4 De telles initiatives exigeront également un degré plus important de participation de la part de la communauté internationale.

Oumar Sylla (Oumar.sylla@unhabitat.org) est Chef du bureau de l’Est pour UN-HABITAT en RDC
 (www.unhabitat.org).

2 UN-HABITAT a enregistré plus de 300 conflits fonciers entre septembre et décembre 2009 dans les territoires de Masisi et de Rutshuru.

3 http://tinyurl.com/DRC-ISSSS (Pas de version française disponible au moment de l’édition de ce numéro)

 

 

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