Groupes armés non étatiques et déplacement : la perspective d’un état

Ayant depuis longtemps adopté une approche intégrée de la politique étrangère basée sur l’engagement, la Norvège défend l’idée selon laquelle les États devraient chercher à renforcer la prévention, la protection et l’assistance par le biais du droit international et du dialogue avec les groupes armés non étatiques.

Aujourd’hui, la majorité écrasante de conflits n’est pas menée entre deux armées de deux États ennemis mais plutôt entre les forces gouvernementales d’un État et un ou plusieurs groupes armés non étatiques (GANE). Alors que les civils ont toujours été victimes des conséquences de la guerre, cette tendance implique un certain nombre de difficultés supplémentaires.

Bien trop souvent, le déplacement forcé et prolongé est le résultat des conflits armés et des violences de notre temps. Derrière la dure réalité des millions d’individus qui doivent prendre la route ou s’adapter à des conditions de vie précaires, loin de chez eux et souvent en terre étrangère, se cachent des histoires personnelles pleines de souffrance, de perte et de persévérance. Les civils sont affectés d’innombrables manières, soit en tant que victimes d’attaques directes - y compris par l’utilisation des violences sexuelles comme tactique de guerre, ou du déplacement forcé - soit comme victimes indirectes, avec l’essor des infections, de la faim et de la malnutrition provoqué par les conflits. Les mines antipersonnel, les bombes à sous-munitions et d’autres  explosifs laissés après les conflits jouent fréquemment un rôle pernicieux dans ces récits, forçant les individus à fuir ou entravant leur retour, entraînant ainsi des situations de déplacement prolongées. Ce sont là certaines des conséquences humanitaires inacceptables dont les GANE, de même que les États, sont responsables.

Droit international et responsabilité

Nous voyons bien trop souvent aujourd’hui les parties aux conflits conduire leurs opérations militaires dans le mépris des règles fondamentales du droit humanitaire international. Le non-respect de ces règles peut être le résultat d’une décision politique consciente ou d’un manque de connaissance ou de compréhension de celles-ci, voire même d’un manque de capacités à les respecter. Ce non-respect peut aussi bien se manifester dans la conduite des GANE que dans celle des États.
                                              
Une autre difficulté à surmonter provient du fait que nombre de ces conflits ne correspondent pas clairement à l’une des catégories traditionnelles de conflits armés internationaux ou non-internationaux. Pour compliquer encore les choses, la ligne de démarcation est souvent floue entre les situations de conflit armé non international et les situations alliant violence politique et violence criminelle, dans lesquelles les acteurs armés aux motivations principalement politiques contribuent à l’insécurité et aux attaques contre la population.

Comment pouvons-nous surmonter ces obstacles? En premier lieu, il est nécessaire de renforcer les connaissances de chaque partie concernant les règles internationales en vigueur, de même que leur respect de celles-ci. Bien que ce soient les États qui négocient généralement les conventions, un principe de responsabilité criminelle individuelle s’applique dans le cas de ces normes fondamentales inscrites dans le droit humanitaire international, qui sont également juridiquement contraignantes pour les GANE. Les groupes armés non étatiques peuvent aussi être juridiquement contraints de respecter les normes fondamentales inscrites dans le droit des droits de l’homme et le droit des réfugiés ; les États peuvent donc les tenir responsables de toute infraction à ces normes. Dans ce sens, il est crucial de soutenir les mandats respectifs du CICR, de l’UNHCR et d’autres organes de l’ONU en tant que gardiens de cet ordre.

Les gouvernements sont clairement obligés, par les traités qu’ils ont signés, de prendre des mesures adaptées pour assurer la protection des civils selon le droit humanitaire internationale ou, lorsqu’ils ne sont pas parvenus à empêcher les atteintes aux droits humains, à enquêter, punir et réparer les torts.

Il est nécessaire de renforcer le principe selon lequel les personnes responsables de violations des normes internationales en soient tenus responsables, en renforçant et reconstruisant activement les systèmes juridiques nationaux ; par le biais de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et des autres institutions internationales ; et par le biais de la Cour pénale internationale et des tribunaux spéciaux.

Nous avons pu constater que les GANE peuvent être persuadés, par le dialogue et les activités de proximité, à agir conformément aux normes internationales. L’un des exemples en est la Convention de 1997 sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction. Grâce à l’organisation Geneva Call et son recours à un dialogue approfondi, plusieurs GANE ont déjà signé des actes d’engagement qui les contraignent explicitement à respecter les dispositions de cette convention. La Norvège a également apporté son appui au projet-pilote de Geneva Call portant sur les GANE et la protection des femmes et des filles pendant les conflits armés. Lors d’une réunion, en décembre 2010, les membres de huit GANE asiatiques se sont réunis pour aborder la question des violences sexuelles en période de conflit et se sont engagés à prendre les mesures nécessaires pour être en conformité complète avec les normes internationales relatives à cette question.

Arguments en faveur du dialogue

La Norvège poursuit depuis vingt ans une politique d’engagement. Son but ultime est d’aider les parties aux conflits armés à trouver des solutions pacifiques ou, du moins, de les aider à atténuer le niveau de violence et d’évoluer vers des solutions politiques.

Dans toutes les situations où la Norvège a été invitée à jouer un rôle, les parties concernées se composaient toujours au moins d’un groupe armé et d’un État. Pour engager le dialogue avec les GANE sur la question des normes internationales, il faut s’y prendre pas à pas, en fonction des dynamiques en jeu et de la phase du conflit. Lorsque les parties dialoguent les unes avec les autres (dialogue souvent facilité par un tiers), des accords partiels - associés parfois à des cessez-le-feu temporaires ou permanents - peuvent constituer des mesures importantes en matière de renforcement de la confiance, en plus de permettre d’alléger les souffrances de la population civile.

Depuis 2001, la Norvège apporte son assistance, en tant que facilitateur, au processus de paix entre le Gouvernement des Philippines et le Front démocratique national des Philippines. Les deux parties ont fini par s’entendre sur un Accord général relatif au respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire (CARHRIL), y compris sur la création d’un mécanisme pour en suivre la mise en œuvre. Aujourd’hui, en plus de la reprise des négociations officielles depuis février 2011, les parties s’efforcent d’enregistrer les plaintes par le biais du mécanisme établi, puis d’enquêter et de produire des rapports sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire qui auraient été commises par l’une ou l’autre partie.

En termes concrets, notre politique a obtenu des résultats inégaux - mais mesurer le rôle individuel de la Norvège dans un conflit donné n’a pas beaucoup de sens. Notre contribution s’inscrit généralement dans un effort commun avec d’autres partenaires, et les ingrédients de nos succès et de nos échecs se trouvent principalement parmi les parties aux conflits elles-mêmes.

Notre outil principal, c’est le contact, c’est-à-dire le dialogue, basé sur la confiance. Cette approche soulève inévitablement d’importantes questions. Permettre à un groupe armé de participer à des pourparlers légitime-t-il l’usage de la violence par ce groupe pour appuyer ses revendications? Les parties utiliseront-elles simplement le dialogue comme un moyen de prolonger autant que possible leurs luttes armées? Sans nier que ces questions soient valides, la Norvège a choisi de faciliter le dialogue parce que cela semble le meilleur moyen de clarifier, pour les parties concernées, tous les éléments à prendre en compte pour atteindre une solution politique.

Et avec qui allez-vous discuter d’un conflit et de sa fin possible si ce n’est avec les parties impliquées, y compris les groupes armés non étatiques? La posture de la Norvège consiste à parler à tout le monde, y compris aux organisations telles que le Hamas dans les Territoires palestiniens et le Hezbollah au Liban.

Par de tels dialogues, il est possible de discerner et d’encourager tout intérêt que pourraient avoir les parties à respecter le droit des conflits armés et les autres normes juridiques. La recherche de la légitimité peut jouer un rôle important dans ce processus. En effet, lorsque la légitimité politique est l’objectif d’un groupe armé, elle augmente, en termes relatifs, les possibilités d’un engagement constructif pour la réduction de la violence et la promotion de la paix. Bien entendu, il est primordial de trouver un équilibre entre le désir du GANE à acquérir une certaine légitimité politique et la réticence de l’État concerné à lui accorder implicitement une telle légitimité par le dialogue. Dans l’idéal, il faudrait chercher à dépolitiser les questions relatives aux normes internationales fondamentales et à éviter que les États censurent le dialogue sur les droits humains sous prétexte qu’ils désirent limiter les discussions avec les GANE.
 
En effet, comprendre les motivations des parties, en particulier des groupes armés non étatiques, est un argument-clé en faveur du dialogue. Hélas, c’est également une question de plus en plus complexe. Les acteurs non étatiques sont rarement des organisations monolithiques. Ainsi, la fragmentation, les liens entre groupes et réseaux criminels, les liens avec des éléments des structures étatiques ou encore le soutien apporté par des États tiers constituent les multiples facettes de la réalité complexe des GANE d’aujourd’hui. Parfois, c’est le succès militaire d’un État contre un groupe armé qui provoquera cette fragmentation, entraînant ainsi paradoxalement une situation moins propice à l’établissement d’un dialogue efficace. En raison de ces complexités, il devient difficile d’identifier les intérêts des parties et leurs principales motivations.

Désarmement humanitaire

Par « politique d’engagement », nous impliquons l’usage complet de notre appareil de politique étrangère, le financement de l’aide, nos réseaux et notre disposition à prendre des risques politiques afin d’apporter des changements au niveau international - des changements qui s’alignent sur les valeurs universelles telles que la protection des principes humanitaires, la promotion des droits humains, le désarmement et la résolution des conflits. Cette politique d’engagement de la Norvège se manifeste par ses efforts humanitaires et ses efforts de coopération pour le développement.

Je l’illustrerai par un exemple qui se rapporte à la question des GANE et du déplacement forcé : la Convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel de 1997. Bien qu’elles aient été initialement développées pour être utilisées pendant les guerres entre pays, les mines antipersonnel, qu’elles soient fabriquées industriellement ou improvisées, sont aujourd’hui fréquemment utilisés dans les conflits armés « asymétriques » entre un État et un ou plusieurs GANE. Les conséquences humanitaires de ces mines sont inacceptables, quelle que soit la partie au conflit qui y a recours, et c’est pourquoi la Norvège a été l’un des instigateurs les plus actifs de l’interdiction totale exprimée dans la Convention de 1997. Pour la même raison, sous le terme général de « désarmement humanitaire », la Norvège est profondément engagée dans un large éventail d’activités (soit directement, soit en apportant un soutien financier et politique à d’autres acteurs) visant à s’assurer de la mise en application de la Convention afin que les sites concernés soient déminés, les victimes assistées et les armes détruites et plus jamais produites.

Cette Convention n’aurait jamais pu voir le jour sans les courageux efforts des organisations humanitaires telles le CICR et un certain nombre d’ONG, et sans la participation très influente des victimes de mines antipersonnel. La Norvège et les autres États concernés ont coopéré de manière très étroite avec ces acteurs, ce qui s’est avéré crucial au processus en maintenant les négociations ancrées dans la dure réalité du véritable impact des mines antipersonnel. La Norvège a ensuite utilisé ce modèle de coopération entre États et société civile dans le processus fructueux qui a mené à l’adoption de la Convention de 2008 sur les armes à sous-munitions.

La Convention sur les mines antipersonnel puis, plus tard, la Convention sur les armes à sous-munitions ont créé un précédent de poids, aussi bien dans le droit international que dans l’élaboration de politiques, pour s’attaquer à la question du désarmement en s’appuyant sur des critères humanitaires. Ceci a, et continuera à avoir, de plus amples ramifications pour les politiques sécuritaires des États. Simultanément, le recours à l’argument humanitaire pour établir ces conventions a également alimenté le dialogue mondial sur la protection des civils, auquel des acteurs non étatiques participent, y compris des groupes armés. Même dans un monde globalisé où les carences de gouvernance sont nombreuses - en particulier en conséquence des actions des groupes armés non étatiques et de l’incapacité des États à s’affirmer pleinement - des progrès sont toujours possibles grâce à l’alliance du droit international et du dialogue.

 

Espen Barth Eide est secrétaire d’État pour le Ministère norvégien des Affaires étrangères. Pour de plus amples informations, veuillez écrire à post@mfa.no

 

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