La Convention de Kampala et les obligations des groupes armés

La Convention de l’Union Africaine pour la Protection et l’assistance des personnes déplacées de l’intérieur, adoptée en octobre 2009 – connue sous le nom de Convention de Kampala – reflète et s’appuie sur les cadres légaux existants du Droit international humanitaire (DIH) et du Droit international des droits de l’homme (DIDH), ainsi que sur d’autres instruments de droit souple comme les Principes directeurs relatifs au déplacement des personnes à l’intérieur de leur propre pays. C’est ainsi que la Convention de Kampala impose comme obligation aux Etats parties « de respecter et d’assurer le respect » à la fois du DIH et du DIDH. « Assurer le respect » signifie qu’il incombe également aux Etats parties de s’assurer que les groupes armés non étatiques n’interfèrent pas avec le droit des PDI à jouir de leurs droits de la personne, et qu’ils ne soient pas un obstacle à la protection des civils, notamment des PDI.

Dans les situations de conflits non internationaux, le comportement des Etats et des groupes armés non étatiques est réglementé de la même manière par l’Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, le Protocole II additionnel de 1977, et les dispositions clés du DIH qui sont considérées comme faisant partie du droit coutumier international.

Les obligations  des groupes armés non étatiques

La Convention de Kampala ne va pas jusqu’à imposer aux groupes armés d’obligations positives de protéger les droits de la personne. Cependant, dans l’article 7, intitulé « Protection et assistance aux personnes déplacées dans les situations de conflit armé » la Convention affirme l’applicabilité du cadre légal préexistant constitué par le droit international, notamment le DIH, en déclarant que « la protection et l’assistance aux personnes déplacées au titre du présent article sont régies par le droit international, en particulier le Droit humanitaire international».
La Convention reconnait que dans les situations de conflit non international, les groupes armés exercent souvent un rôle de contrôle déterminant sur les populations civiles, notamment les PDI. L’article 7 (5) impose une série d’obligations négatives aux groupes armés, leur interdisant la poursuite de certains types d’actions :

  • Procéder à des déplacements arbitraires  ;
  • Entraver en quelque circonstance que ce soit, la fourniture de la protection et de l’assistance aux PDI ;
  • Nier aux PDI, le droit de vivre dans des conditions satisfaisantes de dignité, de sécurité, d’assainissement, d’alimentation, de santé et d’abri, et séparer les membres d’une même famille ;
  • Restreindre la liberté de mouvement des PDI à l’intérieur et à l’extérieur de leurs zones de résidence ;
  • Recruter, en quelque circonstance que ce soit, des enfants, ou leur demander ou leur permettre de prendre part aux hostilités ;
  • Recruter par la force, kidnapper, enlever ou  prendre en otages  des individus, se livrer à des pratiques d’esclavage sexuel ou de traite des personnes, notamment des femmes et des enfants ; 
  • Empêcher l’assistance humanitaire et le passage de tout acheminement de secours, d’équipement ou de personnel au profit des PDI ;
  • Attaquer ou nuire au personnel humanitaire, aux secours et au matériel déployé pour l’assistance au profit des PDI, et détruire, confisquer ou détourner ces matériaux ;
  • Violer le caractère civil et humanitaire des lieux dans lesquels les personnes déplacées sont hébergées, ou s’infiltrer dans ces lieux.

 

L’article 5(11) impose aux Etats parties l’obligation de « …prendre les mesures nécessaires visant à garantir que les groupes armés respectent leurs obligations au titre de  l’Article 7 », qui à son tour stipule que « la protection et l’assistance aux personnes déplacées au titre de cet article sont régies par le droit international et notamment le Droit international humanitaire » (article 7(3)). La Convention prévoit également que les Etats parties doivent tenir les groupes armés comme « pénalement responsables de leurs actes qui violent les droits des personnes déplacées aux termes du droit international et de la législation nationale » (article 7(4)).

Renforcement de la protection des PDI

La Convention de Kampala renforce la protection des PDI de trois manières importantes. Premièrement, la Convention de Kampala ne prévoit pas de possibilité de report d’application en cas d’urgence nationale, dans la mesure où la Convention de Kampala reste applicable dans sa globalité et en tout temps. Ni les Etats parties, ni les groupes armés ne peuvent invoquer l’existence d’un conflit armé pour éviter d’avoir à remplir leurs obligations en matière de droits de la personne au titre de la Convention.

De plus, la Convention de Kampala ne spécifie pas de seuil pour l’application de l’article 7. Ainsi, même dans une situation où la violence armée n’atteint pas un niveau de conflit armé menant à l’application de l’Article 3 Commun, ou un seuil encore plus élevé pour l’application du Protocole II additionnel, les groupes armés non étatiques restent néanmoins liés par leurs obligations au titre de l’article 7 de la Convention de Kampala de ne pas interférer avec les droits fondamentaux des PDI.

Finalement, dans les cas où le déplacement est causé par un conflit entre un Etat et, un ou plusieurs groupes armés, ces groupes armés ont un rôle bien défini à jouer lorsqu’il s’agit de mettre un terme au déplacement. La Convention stipule que les Etats parties doivent « (e.) s’efforcer de prendre en considération les principes pertinents contenus dans la présente Convention lors de la négociation des accords de paix et de tout autre accord en vue de trouver des solutions durables au problème du déplacement interne » «(article 3(2) (e.)).

Pour aller de l’avant

Une étude récente menée par le CICR a démontré que même si le DIH reste un cadre légal adéquat pour la protection des civils dans les situations de conflit armé, il doit être renforcé dans certains domaines. Et l’un de ces domaines est relatif à la protection des PDI aux mains, tout autant, des groupes armés étatiques et non étatiques. L’incorporation à la législation domestique des Principes directeurs, comme le demande par exemple le Protocole sur les PDI du Pacte des Grands Lacs, est l’un des mécanismes possibles pour y parvenir.

La Convention de Kampala offre un autre moyen pour parvenir à cet objectif  à l’Union Africaine et ses 53 Etats membres. Toute l’attention doit maintenant être consacrée à garantir l’entrée en vigueur de la Convention qui nécessite la ratification par 15 Etats membres,   et sa prompte application. Dans le même temps, les Etats parties et leurs partenaires, notamment les agences de l’ONU, les organisations de la société civile et les négociateurs de paix, doivent s’adresser aux groupes armés non étatiques pour leur faire prendre conscience de leurs obligations au titre de la Convention de Kampala.

Comme dans le cas d’autres instruments du DIH, le défi sera d’obtenir des groupes armés non étatiques qu’ils tiennent compte d’un instrument pour lequel ils n’ont participé ni aux négociations ni à l’adoption, mais qui néanmoins comportent des obligations à leur égard. Dans de nombreuses situations, le CICR et les Sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge ainsi que les organisations de la société civile et les groupes de pression représentant les intérêts des personnes vivant dans les zones affectées par des conflits internes, sont les mieux placés pour engager le dialogue avec les GANE et les familiariser avec l’existence de la Convention et les restrictions qu’elle impose aux actions menées par les groupes armés.

De plus amples informations sur la Convention de Kampala sont disponibles sur
http://www.internal-displacement.org/kampala-convention  

Katinka Ridderbos (katinka.ridderbos@nrc.ch) est Analyste nationale avec l’Internal Displacement Monitoring Centre du Norwegian Refugee Council’s (IDMC http://www.internal-displacement.org).

 

La Convention de Kampala définit les groupes armés non étatiques comme “des forces armées dissidentes ou autres groupes armés organisés distincts des forces armées de l’Etat » (Article 1(e.)).

ICRC, Customary International Humanitarian Law, Cambridge University Press, 2005 [CICR, Droit international humanitaire coutumier, volume I uniquement, Editions juridiques Bruylant] http://www.icrc.org/eng/resources/documents/publication/pcustom.htm

Voir aussi : Maria Stavropoulou http://www.fmreview.org/DRCongo/stavropoulou.htm

Le report d’application d’une loi est la révocation temporaire, de toute ou partie de cette loi, au vu de circonstances particulières.

http://tinyurl.com/GreatLakes-IDP-Protocol-Fr Le Pacte des Grands Lacs est entré en vigueur en 2008, et a été ratifié par 10 des 11 Etats membres de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs.

A la date de janvier 2011, elle a été ratifiée par quatre États membres: Tchad, Sierra Leone, Ouganda et Zambie. Voir la liste des signataires sur : http://tinyurl.com/Kampala-Convention-status

Voir section 5.4  du Guide pour la société civile sur la Convention de Kampala, publié par l’IDMC et le Conseil économique, social et culturel de l’Union Africaine: www.internal-displacement.org/publications/au-guide (disponible en arabe, anglais, français et portugais).

 

 

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