Encadrer les nouvelles voix dans les publications relatives à la migration forcée

Les commentaires des auteurs ayant participé à un nouveau programme de mentorat contribuent à l’élaboration de solutions destinées à accroître l’inclusion des perspectives sous-représentées dans le domaine de la publication d’articles sur les migrations forcées.

La publication, en particulier dans des revues à comité de lecture, reste l’un des moyens les plus concrets de partager les connaissances sur le déplacement forcé, de faire progresser la recherche et les objectifs de carrière des chercheurs, et d’éclairer les débats politiques. Une étude menée en 2020 sur le Journal of Refugee Studies, sans doute l’une des revues les plus influentes dans le domaine, a révélé que 90 % des articles étaient rédigés par des chercheurs universitaires basés dans le Nord Global[1]. Au cours de la même période, 85 % des migrants forcés dans le monde se trouvaient dans les pays du Sud Global[2]. Ce déséquilibre du pouvoir biaise les études sur les migrations forcées en favorisant leur traitement tel qu’il est effectué dans le Nord et soulève des questions fondamentales sur la répartition du pouvoir dans le domaine de la migration forcée lui-même. Il est de plus en plus accepté que cet état des choses doit changer, à la fois pour promouvoir l’inclusion des chercheurs du Sud, mais aussi pour veiler à ce que la recherche reflète les connaissances et les idées des chercheurs les plus proches du phénomène de la migration forcée, dont beaucoup ont une expérience vécue inestimable. Mais comment transformer cette reconnaissance en véritable changement ?

Chercher des clés de compréhension et des solutions

Afin d’explorer les moyens d’améliorer l’accès et la représentation, le Local Engagement Refugee Research Network (LERRN) s’est associé à l’équipe éditoriale de la Revue Migrations Forcées afin de soutenir un nouveau programme de mentorat visant à accroître l’inclusion des perspectives jusqu’ici sous-représentées. Cette initiative s’est appuyée sur les résultats prometteurs d’autres initiatives, notamment le Displaced Scholars Peer Mentoring Program, mis sur pied par le Kaldor Centre for International Refugee Law, de l’université de New South Wales, et l’institut Raoul Wallenberg, de l’université de Lund. Ces programmes ont permis d’offrir un mentorat par les pairs et d’autres formes de soutien aux chercheurs en début de carrière qui ont subi un déplacement forcé[3].

Pour concevoir l’initiative, RMF et le LERRN ont réuni un groupe consultatif composé de personnes ayant une expérience vécue du déplacement et de partenaires établis dans les principales régions d’accueil de réfugiés du Sud. Le groupe a contribué à l’élaboration de l’appel à articles pour ce numéro de RMF consacré au thème « Savoirs, voix et pouvoir » et a également apporté des éclairages sur la manière de surmonter les obstacles à l’inclusion. À la suite de ces discussions, RMF et le LERRN ont mené une enquête auprès des participants inscrits à une session intitulée « Écrire pour RMF[4] » afin de recueillir des informations sur les obstacles à la publication. Les répondants à l’enquête étaient pour la plupart employés dans des universités, des ONG ou des agences des Nations unies dans le Sud. Un tiers d’entre eux avaient vécu une expérience de déplacement, plus de la moitié étaient nés dans le Sud et un tiers étaient des femmes. Les résultats de cette enquête sont les suivants :

La langue reste un obstacle important à la publication dans RFM, en particulier pour les réfugiés et les autres personnes qui ont subi un déplacement. Bien que RMF reçoive des articles et les publie en anglais, en arabe, en français et en espagnol, les réfugiés et les autres personnes ayant une expérience personnelle du déplacement ont cité comme obstacle important la prééminence de l’anglais sur la scène internationale, à la fois réelle et perçue, et, partant, le manque de possibilités d’écrire dans des langues autres que celles dans lesquelles la revue publie. En revanche, les auteurs qui n’étaient pas des réfugiés et/ou qui n’avaient pas d’expérience personnelle du déplacement, indépendamment de leur relation avec le Sud, étaient beaucoup plus susceptibles de citer le manque de temps pour écrire comme un obstacle à la publication, plutôt que la langue.

Le manque de connaissances sur le processus de publication et/ou le manque de confiance dans leurs idées ou dans leurs capacités d’écriture sont également abondamment cités par les participants. La plupart des répondants à l’enquête ont déclaré avoir rencontré des obstacles à la publication, peut-être précisément parce qu’ils avaient choisi de participer à un atelier sur la façon d’écrire pour RMF. Lorsqu’on leur a demandé ce qui pourrait faire tomber ces barrières, tous les répondants ont cité le mentorat parmi les interventions les plus susceptibles d’accroître leur participation. Au nombre des thèmes spécifiques qui devraient, selon eux, être couverts par les mentors figurent l’information des chercheurs sur le processus de publication, le renforcement de la confiance dans les idées de l’auteur et l’aide à la structuration d’un article en vue de sa publication.

Mentorat de nouveaux auteurs

En réponse au besoin urgent et identifié de mentorat dans le domaine de la publication d’articles sur la migration forcée, RMF et le LERRN ont, en décembre 2021, lancé un programme pilote de mentorat conçu pour promouvoir l’inclusion d’auteurs issus de la migration forcée et/ou du Sud Global dans le magazine. Neuf auteurs ont été sélectionnés sur la base de leur proposition d’article et d’une courte présentation personnelle. Les auteurs ont ensuite bénéficié d’une heure de mentorat individuel en ligne puis d’un avis écrit sur leur projet d’article. Bien que la participation au programme ne garantisse pas la publication, elle permet aux auteurs de profiter de conseils personnalisés sur la manière de rendre leurs soumissions plus compétitives.

Les réactions des participants ont été extrêmement positives, tous les mentorés ayant déclaré que le programme les avait aidés à surmonter les obstacles qu’ils rencontraient pour publier et qu’ils le recommanderaient à d’autres. La majorité d’entre eux ont estimé avoir amélioré leur capacité à rédiger un article solide, ce qui représentait l’objectif principal de la plupart des mentorés dans le cadre de leur adhésion au programme. Plusieurs participants ont déclaré que le mentorat les avait aidés à affiner le sujet de leur article, en les guidant de manière à adapter ce dernier aux exigences spécifiques de RMF. Un participant a également fait remarquer qu’il avait pu obtenir des conseils ciblés sur la rédaction d’articles sur la migration forcée, alors que cela n’était pas possible dans sa propre institution.

Les mentors ont également fourni des commentaires positifs, notant qu’ils avaient, eux aussi, tiré des enseignements de l’interaction avec leurs mentorés, en particulier sur les différents sujets couverts dans les projets d’articles. Plusieurs mentors sont allés au-delà de leur engagement initial, en s’engageant dans une conversation approfondie et durable avec leurs mentorés. Certains mentors ont toutefois déclaré qu’ils ne se sentaient pas en mesure d’offrir des conseils sur certains des défis particuliers auxquels sont confrontés les chercheurs du Sud, tels que les conséquences négatives possibles de la publication sur des sujets politiquement sensibles. Il serait important d’inclure dans un programme futur davantage de mentors ayant l’expérience de ces questions et capables de conseiller ceux qui n’ont pas l’habitude de gérer des sensibilités politiques particulières. Il reste à voir dans quelle mesure les futurs programmes de mentorat pourront s’attaquer à la barrière de l’hégémonie réelle et perçue de l’anglais dans les publications sur la migration forcée.

Perspectives

Le succès du programme pilote de mentorat a encouragé le LERRN et RMF à continuer à investir dans des projets proactifs visant à accroître la diversité des auteurs publiés dans leurs canaux de communication. RMF a l’intention de mettre en place un dispositif plus permanent pour les auteurs issus de la migration forcée et/ou vivant dans le Sud et qui souhaiteraient recevoir un soutien dans l’élaboration d’articles pour le magazine. Parallèlement, elle organisera régulièrement des webinaires destinés à répondre aux questions concernant le processus de publication et les exigences spécifiques de la revue. Le programme pilote de mentorat et l’enquête ont fourni des informations très précieuses qui aideront RFM à élaborer des initiatives visant à remédier au déséquilibre actuel en matière de diversité des auteurs.

Le LERRN continuera à soutenir la localisation dans la recherche universitaire par le biais de sa série de webinaires[5] et d’autres programmes. En partenariat avec le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) au Canada, le LERRN lance un réseau mondial de chaires de recherche sur le déplacement forcé (Research Chairs on Forced Displacement)[6]. Ce réseau intégrera les enseignements tirés du programme de mentorat, notamment l’apprentissage par les pairs et la promotion active de la diversité linguistique, dans le cadre d’une initiative visant à transférer le pouvoir aux auteurs et universitaires du Sud Global.

Le programme pilote de mentorat a mis en évidence l’importance des partenariats significatifs et de l’apprentissage par les pairs parmi et entre les auteurs ayant une grande expérience de la publication et ceux ayant moins d’expérience, en particulier dans les pays du Sud. Il a également mis en lumière la nécessité d’un soutien  visant à améliorer l’inclusivité dans la publication d’articles de recherche, en particulier pour ce qui est de surmonter les obstacles tels que l’exclusion linguistique et d’atténuer les risques pour la sécurité auxquels sont confrontés certains auteurs du Sud. Enfin, l’objectif de toutes ces initiatives est de faire en sorte que les pratiques et politiques puissent être débattues et façonnées par les personnes les plus touchées par la migration forcée aujourd’hui. Il reste encore beaucoup à faire pour atteindre cet objectif, notamment pour remédier à la prédominance de l’anglais dans les publications sur la migration forcée, mais nous nous engageons à jouer notre rôle en contribuant à ce changement nécessaire et attendu.

 

Heather Alexander heatheralexander@cunet.carleton.ca

Attachée de recherche, LERRN, Université de Carleton

James Milner jamesmilner@cunet.carleton.ca

Directeur de projet, LERRN; Professeur adjoint, Université de Carleton

Alice Philip alice.philip@qeh.ox.ac.uk

Rédactrice, RMF, Université d’Oxford

 

[1] Rachel McNally et Nadeea Rahim (2020), How global is the Journal of Refugee Studies?
https://bit.ly/global-jrs

[2] L’invasion de l’Ukraine et la crise des déplacements qu’elle a provoquée ont modifié ces statistiques, le nombre de personnes déplacées en Europe ayant augmenté de manière significative. Cependant, pour ce qui est des publications, les auteurs occidentaux (et particulièrement anglophones) continuent de dominer la scène.

[3] Kaldor Centre Displaced Scholars Peer Mentoring Program: https://bit.ly/kaldor-mentoring

[4] Pour visionner le webinaire, rendez-vous sur https://www.fmreview.org/fr/ecrire-pour-rmf.

[5] https://bit.ly/lerrn-webinar-series

[6] https://bit.ly/CRDI-chaires-recherche

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.