Une représentation significative commence au sommet : les réfugiés au Comité exécutif du HCR

Les représentants des réfugiés devraient constituer 50 pour cent du Comité exécutif du HCR afin de garantir que l’Agence des Nations unies pour les réfugiés soit gouvernée par les personnes qu’elle doit servir.

Moi, Bahati Kanyamanza, je suis réfugié depuis 22 ans. Lorsque j’ai atteint ma majorité dans un camp de réfugiés en Ouganda, je me suis demandé si c’était l’État ougandais ou l’État de mon pays de naissance – la République démocratique du Congo – qui devait me représenter dans les forums mondiaux. J’ai appris que, dans la pratique, aucun des deux États ne me représentait. Pourtant, le HCR, l’organisme international chargé d’orienter la réponse internationale aux migrations forcées, n’est pas gouverné par ceux qui sont forcés de migrer. Au lieu de cela, il est dirigé par un comité exécutif (l’« ExCom ») entièrement composé d’États.

Ma coautrice Emily Arnold-Fernández et moi-même pensons qu’il est temps que cela change. Les appels à une gouvernance équitable et inclusive à tous les niveaux se font entendre dans le monde entier. Les acteurs humanitaires, des États aux organismes des Nations unies en passant par les groupes de la société civile, évaluent les progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’engagement du Grand Bargain du Sommet humanitaire mondial en faveur de la localisation – l’idée que les personnes les plus proches des problèmes doivent jouer un rôle central dans la conception des solutions[1].

Un impératif moral – et essentiel pour découvrir des solutions

En 2016, je suis intervenu en tant que cofacilitateur à l’occasion des Consultations mondiales auprès des jeunes réfugiés (Global Refugee Youth Consultations, GRYC), le programme du HCR visant à mieux comprendre les besoins, les désirs et les défis des jeunes réfugiés, et à écouter leurs idées de solutions. Un thème commun est ressorti de ces consultations : Vous planifiez pour nous sans nous – et vous ne nous connaissez pas. Le message des jeunes réfugiés au HCR et aux autres acteurs de la migration forcée était simple : Si vous voulez résoudre nos problèmes, engagez-vous d’abord avec nous et faites-nous participer.

Fondamentalement, décider du sort des réfugiés sans leur participation est contraire à l’éthique. En tant que personnes les plus touchées par les migrations forcées, les réfugiés ont le droit d’avoir une voix centrale dans les structures décisionnelles. Pourtant, partout dans le monde, les réfugiés sont marginalisés dans la gouvernance, dans la conception et dans la mise en œuvre des réponses aux migrations forcées, aux niveaux local, national, régional et international.

Cette marginalisation empêche également de trouver des solutions. Lorsque les réfugiés ne participent pas de manière significative, les réponses à la migration forcée négligent des priorités importantes, ne permettent pas d’appréhender les besoins critiques et engendrent la méfiance entre les réfugiés et les entités qui les soutiennent ou les représentent ouvertement. Les résultats peuvent être désastreux.

Par exemple, entre 2000 et 2005, le Programme alimentaire mondial (PAM) a distribué du maïs aux 50 000 réfugiés vivant dans le camp de Kyangwali, où je résidais également. Les réfugiés de Kyangwali, cependant, cultivaient déjà du maïs, dans le but de le vendre pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Lorsque le PAM a inondé le marché de maïs gratuit, les prix ont chuté et des milliers de kilos de maïs cultivé par les réfugiés ont été condamnés à pourrir sur pied. Ce désastre aurait pu être évité si les réfugiés avaient été représentés dans les organes de décision qui déterminent les besoins des réfugiés et planifient la manière d’y répondre.

Depuis le Sommet humanitaire mondial de mai 2016 et le Sommet des Nations unies pour les réfugiés et les migrants, de septembre de la même année, la participation des réfugiés aux réponses aux déplacements est largement acceptée comme quelque chose de moralement et concrètement nécessaire – même si cela ne se traduit pas toujours dans la pratique. Le Pacte mondial sur les réfugiés (PMR) de 2018 nomme explicitement les réfugiés en tant que parties prenantes dans la conception de solutions partagées aux défis du déplacement forcé. Le cri de ralliement Rien sur nous sans nous est devenu de plus en plus courant à mesure que, au cours de ces cinq dernières années, les réseaux et les organisations dirigées par des réfugiés (ODR) sont devenus des voix importantes dans les forums mondiaux sur les réfugiés. La société civile a commencé à mettre la théorie en pratique, par exemple en appliquant les recommandations des Meaningful Participation Guidelines du Global Refugee-led Network[2] et en utilisant le fonds de l’initiative Resourcing Refugee Leadership pour orienter les ressources vers les ODR[3]. Cependant, les États et le HCR – entités disposant d’un pouvoir bien plus important sur le plan des réponses aux déplacements forcés – ont pris du retard dans la mise en œuvre de la participation des réfugiés à leurs décisions.

Représentation au sommet

Comme la plupart des institutions internationales (mais pas toutes), le Comité exécutif du HCR est composé uniquement d’États. Cette structure repose sur le principe selon lequel les États représentent les intérêts de leurs citoyens – mais pour les réfugiés, cette logique ne s’applique pas. Les réfugiés sont des personnes vis-à-vis desquelles l’État a failli à sa mission. Le gouvernement de leur pays d’origine menace de les persécuter ou a manqué à son obligation fondamentale à leur égard, puisqu’il ne peut ou ne veut pas les protéger contre la persécution, la guerre ou un trouble majeur de l’ordre public. Prétendre qu’un État d’origine est compétent pour représenter un réfugié dans le cadre d’un processus décisionnel international, après avoir manqué à son devoir de protection bien plus fondamental, est risible.

En même temps, les réfugiés qui sont les plus touchés par les actions du HCR ne sont pas des citoyens des pays où ils résident. Ils n’ont pas le droit de vote. Ils ont rarement les mêmes droits que les citoyens en ce qui concerne les autres formes de participation démocratique et, dans certains endroits, ils sont internés ou détenus sans accès à quiconque pourrait représenter leurs intérêts dans les espaces civiques. En outre, la plupart des États qui accueillent d’importantes populations de réfugiés les considèrent comme des visiteurs temporaires ; en effet, le PMR ne contient pratiquement aucune référence à l’intégration dans un pays d’accueil et, dans la pratique, peu de pays d’accueil permettent l’intégration ou offrent une voie claire et facile vers la citoyenneté ou d’autres moyens d’obtenir le droit de vote.

La plupart des gouvernements des pays d’accueil ne se croient pas obligés de représenter les réfugiés qui ont demandé l'asile à l’intérieur de leurs frontières. En effet, tant au cours des discussions sur le déplacement forcé que dans leurs actions, les pays d’accueil affirment régulièrement et publiquement que leur devoir de représenter leurs citoyens leur impose de résister à la mise en œuvre de mesures visant à « améliorer le sort des réfugiés », à « appliquer les conventions internationales pour la protection des réfugiés » et à « encourager… l’assimilation… et l’admission des réfugiés »[4]. Ce sont là des éléments centraux du mandat du HCR, que le Comité exécutif de l’agence est chargé de superviser.

La conclusion est inéluctable : les réfugiés ne peuvent pas compter sur leur État d’accueil pour les représenter. Jusqu’à ce qu’un réfugié obtienne une nouvelle citoyenneté, il n’est représenté par aucun État – et ne sera donc pas représenté à l’ExCom, à moins que cet organe soit restructuré pour inclure des représentants des réfugiés.

OIT : un modèle pour la représentation des réfugiés

Heureusement, une structure alternative – adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT) – pourrait servir de modèle pour la refonte de l’ExCom du HCR. La structure de gouvernance tripartite de l’OIT permet une représentation directe des deux populations les plus directement concernées par les décisions de l’OIT : les travailleurs et leurs employeurs. Les travailleurs et les employeurs représentent ensemble 50 % du conseil d’administration de l’OIT (l’équivalent du Comité exécutif du HCR), ainsi que 50 % des autres organes qui la composent, comme la Conférence de l’OIT.

Cette structure a été mise en place par l'OIT pour que « les travailleurs et les employeurs participent aux délibérations [...] sur un pied d’égalité avec les gouvernements [et que] les points de vue [des travailleurs et des employeurs] so[ie]nt fidèlement reflétés dans [...] les politiques et les programmes de l’Organisation »[5]. Si nous remplaçons les « travailleurs » et les « employeurs » par les « réfugiés », nous constatons que le modèle de l’OIT est construit sur les principes exacts qui ont été largement acceptés comme une base nécessaire pour formuler des réponses aux déplacements forcés. Pour que le HCR conserve sa pertinence et son autorité morale, il doit désormais mettre en place une structure de gouvernance révisée, similaire à celle de l’OIT.

Les propositions de représentation des réfugiés dans le processus décisionnel mondial se heurtent parfois à une résistance fondée sur la crainte que les réseaux de représentation des réfugiés ne soient pas totalement démocratiques. Au-delà de l’absurdité de cet argument dans le cadre de l’ExCom – car les États ne sont pas non plus parfaitement démocratiques –, le modèle de l’OIT offre un moyen simple et pragmatique de surmonter cet argument : les représentants non étatiques de l’OIT sont désignés « avec l’accord des organisations nationales d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives » respectivement[6]. Avec l’augmentation du nombre d’ODR actives et de réseaux dans le monde, les structures organisationnelles nécessaires à une sélection équitable des représentants existent déjà. Et avec la pléthore d’outils de communication et d’interprétation numériques gratuits dont nous disposons aujourd’hui, une large participation aux processus de sélection est facilement réalisable. L’ExCom du HCR pourrait donc facilement reproduire l’approche de l’OIT, avec des représentants des réfugiés désignés au niveau national ou régional.

Notre proposition pour l’ExCom

Nous pensons que toute proposition de représentation des réfugiés au sein de l’ExCom doit résulter d’un processus inclusif qui implique les réfugiés du monde entier. Nous proposons ici quelques premières idées concernant les éléments qu'une telle proposition pourrait inclure, afin de susciter la réflexion et le dialogue entre ceux qui ont une expérience vécue du déplacement forcé et ceux qui travaillent avec et pour eux.

Représentation équitable : Les représentants des réfugiés devraient être représentés de manière équitable au sein de l’ExCom du HCR, soit à hauteur de la moitié de l’organe, les États constituant l’autre moitié. Une représentation de 50 % est conforme au modèle de l’OIT et garantit que les réfugiés ont véritablement une voix au sein de l’ExCom ; une représentation inférieure signifierait que lors de votes les personnes les plus touchées par les décisions prises pourraient être en minorité.

Désignation par les réfugiés : Les représentants des réfugiés doivent être choisis par les réfugiés eux-mêmes, et non par les États ou le HCR. Les États ne devraient pas être impliqués dans la décision de déterminer quels réfugiés sont les représentants les plus appropriés. Si les États doivent fournir des justificatifs officiels pour tous les représentants auprès de tous les organes de l’ONU, alors toute nouvelle procédure de nomination visant la représentation des réfugiés devrait inclure une disposition exigeant que les États fournissent automatiquement des justificatifs à tout représentant des réfugiés sélectionné.

Représentation diversifiée : Il importe de veiller à une représentation appropriée des diverses expériences de déplacement. Bien qu’il existe de nombreuses façons de réaliser l’objectif de diversité de la représentation, voici quelques idées qui pourraient être explorées : a) Inviter chaque réseau régional dirigé par des réfugiés à nommer un certain nombre de représentants. Cela aurait l’avantage de permettre à chaque réseau de concevoir son propre processus de sélection, plutôt que de prescrire un processus fixe pour toutes les régions. b) Attribuer les sièges de représentants proportionnellement à la population de réfugiés du pays hôte. Par exemple, dans un pays comptant une population de trois millions de réfugiés, cette population pourrait choisir neuf représentants des réfugiés, tandis qu’une population d’un million de personnes réfugiées pourrait avoir trois représentants. Les plus petites populations de réfugiés pourraient choisir leur représentant à tour de rôle. c) Sélectionner, pour chaque État qui participe à l’ExCom, un représentant des réfugiés résidant dans cet État. Toutes ces options présentent des avantages et des inconvénients qui doivent être discutés et débattus, tout comme d’autres options non mentionnées ici.

Il existe déjà un certain nombre de réseaux régionaux dirigés par des réfugiés, tels que le RELON en Afrique et l’APNOR dans la région Asie-Pacifique, qui sont collectivement organisés en un méta-réseau mondial, le Global Refugee-led Network[7]. Les membres de ces réseaux régionaux sont des organisations dirigées par des réfugiés qui sont profondément ancrées dans leurs communautés et auxquelles celles-ci font confiance. Ensemble, toutes ces entités constituent une infrastructure de gouvernance participative qui pourrait relever le défi de sélectionner et d’équiper des représentants des réfugiés pour devenir membres de l’ExCom du HCR.

Avant que cela ne puisse se produire, l’Assemblée générale des Nations unies doit adopter une résolution demandant au Conseil économique et social de l’ONU de réviser la résolution 672 (VVX) – la résolution qui a créé le Comité exécutif du HCR – afin d’autoriser les représentants des réfugiés. Nous pensons que la représentation équitable des réfugiés ne peut pas attendre : le temps du changement est venu.

 

Bahati Kanyamanza bahati.kanyamanza@asylumaccess.org @BKanyamanza

Directeur associé des partenariats, Asylum Access ; Co-fondateur, COBURWAS International Youth Organization to Transform Africa

 

Emily Arnold-Fernandez emily.arnoldfernandez@gmail.com @EDAsylumAccess

Ex-présidente et CEO, Asylum Access ; chercheuse affiliée à la Refugee Law Initiative de l’université de Londres

 

[1] https://bit.ly/grand-bargain

[2] Global Refugee-led Network (2019), Meaningful Participation Guidelines as Transformative Leadership: Guidelines for Concrete Action. https://bit.ly/refugee-participation-guidelines

[3] Resourcing Refugee Leadership Initiative, « Apply for a Grant » : https://www.refugeeslead.org/apply

[4] HCR, Statut de l’Office du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, article 8. https://bit.ly/HCR-statut

[5] OIT, « À propos de l’OIT » : https://bit.ly/àpropos-OIT

[6] OIT, « Conférence internationale du travail » : https://bit.ly/OIT-Conférence

[7] https://globalrefugeenetwork.org

 

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