Écoutez ma voix : la participation des réfugiés à l’élaboration des politiques au Kenya

L’implication des réfugiés dans les récents changements législatifs au Kenya montre comment la participation du public peut être utilisée comme outil pour émanciper les réfugiés et leur donner la possibilité d’influencer la politique.

La participation du public est essentielle à l’élaboration de bonnes politiques publiques. Fondée sur la conviction que ceux qui sont touchés par une décision ont le droit d’être impliqués dans le processus décisionnel en question, elle contribue à l’autonomisation des communautés et à l’élaboration de politiques éclairées. Cependant, les réfugiés – qui peuvent être perçus comme une menace pour l’harmonie nationale et souvent considérés comme vulnérables et incapables de prendre des décisions concernant leur existence – sont souvent exclus de cette participation.

Les exemples de participation publique comprennent le vote, la participation aux réunions et la contribution aux discussions politiques. Dans le contexte de la protection des réfugiés, le HCR définit comme suit la participation publique : « La participation fait référence à l’implication complète et égale des personnes relevant de [s]a compétence [...] dans tous les processus de prise de décisions et les activités des sphères publique et privée qui affectent leur vie et dans la vie de leur communauté[1]. »

Les droits de participation en droit international

La Convention sur les réfugiés de 1951 ne traite pas explicitement des droits politiques des réfugiés dans le pays d’asile. Toutefois, l’article 7, paragraphe 1, précise que les réfugiés doivent bénéficier du même traitement (y compris des droits politiques) que les « étrangers » en général. La Convention note en outre, à l’article 7, paragraphe 3, que les réfugiés doivent continuer à bénéficier des droits auxquels ils pouvaient déjà prétendre dans leur pays d’origine.

Le droit international relatif aux droits humains comprend des dispositions plus spécifiques concernant la participation publique des citoyens, comme dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et la Déclaration universelle des droits de l’homme. De plus, la participation publique fait partie intégrante d’un certain nombre de droits interconnectés, tels que la liberté d’opinion et le droit de chercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par quelque moyen que ce soit, sans considération de frontières, comme le prévoit l’article 19 du PIDCP. De manière significative, le PIDCP garantit non seulement le « droit » mais aussi la « possibilité » de prendre part à la conduite des affaires publiques.

Plus récemment, le Pacte mondial sur les réfugiés (PMR) de 2018 prévoit spécifiquement la participation des réfugiés aux processus décisionnels, précisant en son paragraphe 34 que « les réponses sont le plus efficaces lorsqu’elles impliquent activement et de manière significative les personnes qu’elles visent à protéger et à assister ».

Avantages de la participation

Les personnes déplacées sont touchées – tout comme les communautés d’accueil – par les politiques et la législation élaborées dans le pays d’asile. La participation du public permet de sensibiliser la communauté aux propositions législatives, de créer un sentiment de responsabilité partagée et de contribuer à l’émancipation et aux pratiques inclusives. Elle favorise également l’exercice démocratique et responsable du pouvoir par les dirigeants. Le gouvernement a l’occasion d’entendre directement les personnes concernées, par exemple sur les lacunes à combler pour améliorer la prestation de services. Le public ressent à son tour un plus grand sentiment d’appartenance, ce qui est particulièrement important pour les réfugiés et qui contribue à favoriser l’unité, la confiance et la dignité[2]. Les réfugiés doivent avoir une réelle possibilité d’influencer les décisions politiques en ayant accès à des informations, des données ou des documents opportuns et pertinents relatifs à la formulation et à la mise en œuvre des politiques.

Participation du public au Kenya

Le droit de participer aux affaires publiques est inscrit dans la Constitution kényane de 2010, selon laquelle le pouvoir souverain appartient au peuple, y compris aux réfugiés. L’article 10 fait spécifiquement référence à la « participation du peuple » (communément appelée « participation publique ») dans une liste de valeurs et de principes de gouvernance nationaux obligatoires[3]. L’article 118 prévoit que le Parlement mène ses activités de manière ouverte et facilite la participation et l’implication du public dans les questions législatives.

Depuis l’adoption de la Constitution en 2010, un nombre croissant de lois et de politiques ont été invalidées par les tribunaux kényans en raison d’une participation publique insuffisante. En 2017, la Cour d’appel du Kenya a souligné que « la question de la participation du public est d’une immense importance compte tenu de la primauté qui lui a été accordée dans la loi suprême de ce pays et dans les lois pertinentes relatives aux institutions qui touchent à la vie du peuple »[4]. Il s’ensuit que les membres du public et toutes les parties intéressées ont le droit de contester toute action administrative, toute législation ou toute décision de politique publique en invoquant une participation insuffisante du public.

Participation des réfugiés au Kenya

Les tribunaux kényans ont estimé que la norme à appliquer en matière de participation publique est celle du « caractère raisonnable », en fonction des circonstances et des faits dans chaque cas. Cette exigence de participation du public s’étend aux réfugiés. En 2020, la Cour constitutionnelle du Kenya a invalidé les directives relatives à l’élection du chef de la communauté des réfugiés au motif que le département d’État n’a pas organisé de forum public pour évaluer les préoccupations et obtenir la contribution de la communauté des réfugiés avant la formulation des directives[5].

En 2017, le projet de loi sur les réfugiés 2016 a été présenté au président pour signature. Ce projet de loi prévoyait des dispositions visant la reconnaissance, la protection et la gestion des réfugiés au Kenya. Le président a cependant refusé de signer le projet de loi et l’a renvoyé à l’Assemblée nationale pour réexamen, invoquant l’absence de participation du public lors de son élaboration[6]. Malheureusement, le Parlement a été dissous en 2017 et le projet de loi n’a pas pu être débattu. Toutefois, malgré la caducité du projet de loi, il y a eu un élan continu pour le réviser. En 2019, les membres du Parlement ont instauré un ensemble de mesures pour faciliter la participation du public, en particulier celle des réfugiés.

Tout d’abord, les membres du Parlement se sont rendus dans les camps de réfugiés de Kakuma et de Dadaab pour discuter avec les réfugiés et la communauté d’accueil et entendre de vive voix leurs témoignages. Les députés ont également rencontré des responsables et des dirigeants locaux, qui ont fait part de leurs difficultés, de leurs préoccupations et de leurs recommandations. La visite des camps a été l’occasion pour de nombreux réfugiés d’interagir de manière informelle avec les députés et de partager leurs expériences et leurs préoccupations. À la suite de cela, le nouveau projet de loi sur les réfugiés de 2019 reflète certaines de ces préoccupations et inclut l’une des propositions spécifiques faites par les réfugiés, qui concerne l’utilisation partagée des ressources entre les réfugiés et la communauté d’accueil.

Une fois qu’un projet de loi a été introduit à l’Assemblée nationale, une commission gouvernementale organise officiellement la participation publique. Concernant le projet de loi sur les réfugiés de 2019, la commission départementale de l’administration et de la sécurité nationale a publié une annonce dans les journaux locaux, invitant le public à soumettre des réflexions sur le nouveau projet de loi. L’annonce conviait également les membres du public à assister à des forums de participation dans six zones densément peuplées de réfugiés : Nairobi, Mombasa, Nakuru, Eldoret, le camp de réfugiés de Kakuma et le camp de réfugiés de Dadaab. Les six forums ont permis aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, aux ONG, aux gouvernements des comtés et aux représentants du monde universitaire de partager leurs points de vue sur la loi. Cette vaste consultation du public, y compris des réfugiés, contrastait fortement avec l’unique forum de participation publique mené en 2017, auquel n’avait participé qu’une poignée de personnes, représentant uniquement des ONG.

La participation des réfugiés aux consultations relatives au projet de loi sur les réfugiés 2019 a été soutenue par plusieurs mesures visant à garantir que les réfugiés disposent des compétences, des connaissances et de la confiance nécessaires pour participer efficacement. Avant les consultations officielles, diverses parties prenantes ayant des connaissances en matière de droit des réfugiés ont organisé des sessions de formation avec des réfugiés. Cette formation a permis de démystifier la proposition de loi, de communiquer clairement la pertinence des dispositions pour les réfugiés, ainsi que d’introduire les concepts de base de l’élaboration législative et du droit international des réfugiés et des droits humains. Les réfugiés ont ensuite pu rédiger un mémorandum écrit avant les consultations, détaillant leurs propositions, notamment sur la nécessité pour le gouvernement de préserver la confidentialité des informations relatives aux réfugiés et sur celle de porter à 30 jours le délai accordé aux personnes pour déclarer leur intention de demander l’asile. Ce mémorandum a été signé et soumis aux membres du Parlement. Le président de la commission, Paul Koinange, l’a décrit comme « pertinent et utile dans l’examen du projet de loi »[7].

La possibilité pour les députés d’écouter des résidents des camps de réfugiés de Kakuma et de Dadaab a eu une influence tant sur les députés eux-mêmes que sur les réfugiés. Pour les réfugiés, la discussion avec les députés au cours de cette visite a complété et amplifié les résultats de leur formation et du renforcement de leurs capacités sur le droit des réfugiés. Pour les députés, ce sont les interactions personnelles qui ont eu un réel impact. Lors d’un débat parlementaire, par exemple, le député Oku Kaunya a raconté avoir rencontré un jeune homme né en 1991 dans le camp de réfugiés de Dadaab et qui, aujourd’hui âgé de 28 ans, y réside toujours. Il a exhorté l’Assemblée nationale à reconnaître les droits de ces personnes.

Recommandations en faveur de la participation effective des réfugiés

La participation publique des réfugiés à l’élaboration de la loi kényane sur les réfugiés de 2021[8] a permis de tirer quatre leçons essentielles :

  • Les réfugiés viennent de nombreux pays et parlent diverses langues. Cependant, le projet de loi n’a été publié qu’en anglais. La traduction des documents de politique gouvernementale dans les langues clés permettrait à beaucoup plus de personnes de lire, de comprendre et de participer au processus d’examen.
  • Il est important que les réfugiés comprennent la forme, l’étendue et l’objectif de tout processus de participation aux politiques[9].
  • Les acteurs non étatiques, tels que les organisations nationales ou les organisations dirigées par des réfugiés, peuvent faire efficacement pression en faveur de la reconnaissance, de la promotion et de la participation des réfugiés dans l’élaboration de la législation, en mettant en place une surveillance et en tenant les dirigeants responsables de leurs actions.
  • Il convient d’accorder une attention particulière aux groupes minoritaires et marginalisés au sein de la communauté des réfugiés, afin qu’il leur soit possible de participer sur un pied d’égalité à l’élaboration législative. Toutes les voix ont la même valeur.

 

Lilian Obiye  @LilianNyaboke

Chargé de programme, Programme de développement des politiques de plaidoyer et de gouvernance, Refugee Consortium of Kenya (RCK)

 

[1] HCR (2008), Manuel du HCR pour la protection des femmes et des filles https://bit.ly/HCR-manuel-femmes-filles

[2] Harley T. et Hobbs H. (2020), « The Meaningful Participation of Refugees in Decision-Making Processes: Questions of Law and Policy », Refugee Law, vol. 32, n° 2. https://bit.ly/meaningful-participation

[3] https://bit.ly/kenya-constitution

[4] (Nous traduisons.) Gouvernement du comté de Kiambu & 3 autres c. Robert N. Gakuru & autres [2017] eKLR. http://kenyalaw.org/caselaw/cases/view/137956

[5] Okiya Omtatah Okoiti c. Secrétariat aux affaires des réfugiés (RAS) du Kenya & 2 autres [2020] eKLR. http://kenyalaw.org/caselaw/cases/view/203986/

[6] Owino S. (2017), « Uhuru rejects bill giving refugees right to jobs and land », Business Daily. https://bit.ly/uhuru-rejects-bill

[7] Assemblée nationale (2020), Departmental Committee on Administration and National Security Report on: The Refugees Bill, 2019. https://bit.ly/national-assembly-report

[8] Le projet de loi sur les réfugiés de 2019 a été promulgué, pour devenir, en novembre 2021, la loi sur les réfugiés de 2021.

[9] Jones W. (2019), Refugee Voices, Document de recherche n° 8 du Conseil mondial des réfugiés. https://bit.ly/refugee-voices-paper

 

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