Des réfugiés kenyans inclus dans le processus de justice transitionnelle

Dans le cadre des relations complexes qu’entretiennent la migration forcée et la justice transitionnelle, la visite que vient d’effectuer la Commission kenyane vérité, justice et réconciliation à un site de réinstallation de réfugiés en Ouganda semble marquer une étape déterminante.

Suite aux violences accompagnées de nombreux morts et déplacements qui ont marqué les élections présidentielles nationales au Kenya en 2007, une Commission vérité, justice et réconciliation a été établie. Certains des 12 000 Kenyans qui selon les rapports avaient fui en Ouganda, sont retournés spontanément chez eux peu après leur arrivée. D’autres, cependant, se sont vus dans l’impossibilité de rentrer tant que les problèmes qui avaient provoqué leur fuite n’avaient pas été résolus. En mars 2011, des membres de la Commission vérité, justice et réconciliation sont allés rendre visite aux réfugiés kenyans se trouvant à Kiryandongo en Ouganda pour inviter la communauté à faire entendre ses doléances et proposer des suggestions sur la manière dont les réfugiés pourraient être intégrés au processus de justice transitionnelle. La Commission a également enregistré les récits des réfugiés afin de partager ces informations avec le reste du pays et de les incorporer au processus.

Il reste encore à voir dans quelle mesure les opinions des réfugiés seront incorporées au processus qui émerge actuellement au Kenya et si cela leur permettra d’obtenir justice et facilitera leur retour. Pourtant, une volonté démontrée de la part du pays d’origine de s’engager dans un processus de justice transitionnelle, d’améliorer la gouvernance et de garantir qu’il n’y aura pas de récurrence de la violence initiale, pourrait s’avérer un élément décisif pour faciliter le retour d’une population de réfugiés aussi résiduelle.

La justice transitionnelle

La justice transitionnelle s’intéresse à la manière dont les sociétés traitent les conséquences laissées par les atteintes aux droits de l’homme et les atrocités de masse afin de construire un avenir démocratique, juste et pacifique. Son rôle est de stopper les violations aux droits de l’homme qui perdurent, d’enquêter sur les crimes du passé, d’identifier les personnes responsables des atteintes aux droits de l’homme, d’empêcher de nouvelles violations des droits de l’homme, de préserver et de renforcer la paix, d’apporter réparation aux victimes, et d’encourager la réconciliation au niveau individuel et national.1

L’inclusion de toutes les parties concernées, et en particulier des victimes, à la planification et à la mise en application de tout processus de justice transitionnelle est de plus en plus communément reconnu comme un facteur crucial pour le succès de l’entreprise. Cela, à son tour a entrainé une augmentation de la popularité des entités quasi-judiciaires comme les commissions vérité et réconciliation qui offrent une plus grande possibilité de participation de la victime que les processus légaux officiels. Si les décideurs réussissent à démontrer qu’ils attachent de la valeur à l’opinion des réfugiés, ils pourront peut-être aussi inciter les réfugiés à revenir. Il n’est pas possible de surestimer l’impact psychologique que peut avoir sur les migrants forcés le sentiment d’être entendus.

 Même si l’impact réel de cet événement isolé de consultation est loin d’être connu, la visite de la Commission kenyane démontre au moins la volonté de respecter les droits des réfugiés en tant que citoyens kenyans. Une majorité des réfugiés étaient enthousiastes à l’idée de rencontrer des concitoyens impliqués dans les discussions de réconciliation, et ils ont commenté qu’après tout, et contrairement à ce qu’ils avaient craint, ils n’avaient pas été oubliés.

En général, les mécanismes de justice transitionnelle sont limités dans leur portée. Bien souvent, une enquête est menée pour savoir ce que pensent les populations résidentes des options proposées par la justice transitionnelle, mais on ne demande pas leur opinion aux réfugiés ou aux populations de PDI. La Commission vérité au Libéria2 a été inhabituelle, dans le sens où elle a cherché spécifiquement à intégrer les personnes de la diaspora, en recueillant des déclarations auprès des victimes se trouvant dans différents pays partout en Afrique de l’Ouest et même plus loin, et en menant des audiences publiques aux Etats Unis. D’autres Commissions vérité dans des pays comme la Sierra Leone, le Guatemala, le Pérou et le Timor-Leste, n’ont pas consulté ceux qui étaient encore déplacés sur des sujets débordant du cadre des violations aux droits de l’homme.

Le geste effectué par la Commission kenyane vérité, justice et réconciliation peut donc être perçu comme un acte ‘de direction par l’exemple’. Qu’ils soient déplacés à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, ceux qui fuient des violences méritent le droit de participer en tant que citoyens à la reconstruction, la  réorganisation et la transformation de leur pays. La justice transitionnelle est un domaine dans lequel il reste encore du travail pour déterminer la meilleure manière de faire entendre sur ces sujets ceux qui ont été forcés à la fuite.  Il convient en particulier d’établir un lien explicite entre le droit des victimes à la compensation et le droit des réfugiés à retourner chez eux en toute sécurité et dans la dignité. A l’heure où l’Ouganda s’embarque dans son propre processus de justice transitionnelle destiné à résoudre ses 20 années de guerre civile passée, la question sera de voir si ce pays inclura aussi la diaspora dans ses délibérations.

Bernadette Iyodu (biyodu@gmail.com) est Responsable juridique/Coordinatrice du Programme asile et solutions durables, Projet droit des réfugiés de la Faculté de droit de l’Université de Makerere (www.refugeelawproject.org/).


1 OHCHR Principles and Guidelines [Principes et directives de l’HCDH] www2.ohchr.org/english/law/remedy.htm

2 La Commission vérité et réconciliation du Liberia a rendu son rapport en 2009 http://trcofliberia.org/

 

 

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