Une nouvelle stratégie pour relever les défis humanitaires en milieu urbain

L’expérience semble indiquer que les approches opérationnelles humanitaires d’envergure semblent toujours se heurter à de nombreux obstacles lorsqu’elles cherchent à répondre aux besoins du nombre croissant de PDI et de réfugiés qui migrent vers les villes. Pour surmonter ces obstacles plus efficacement, il faudra agrandir l’échelle des opérations, élaborer de nouveaux outils et définir de nouvelles directives humanitaires.

Ces difficultés, de même que les éventuelles opportunités, ont fait l’objet d’une série d’étude de cas préparées par le CPI pour servir d’appui à sa Stratégie pour les zones urbaines (Strategy for urban areas) [voir encadré]. Les études de cas portaient sur Nairobi et Eldoret au Kenya (violences post-électorales), Manille (typhons) et Port-au-Prince (séisme). En s’appuyant sur les leçons tirées de ces expériences, cet article se penche sur quatre des défis les plus urgents et sur quelques opportunités éventuelles.

À Rome en novembre 2010, l’Équipe spéciale du Groupe de travail du Comité permanent interorganisations sur les défis humanitaires en milieu urbain a approuvé une Stratégie finale et un Plan d’action sur deux ans.1 Cette Stratégie a pour principal objectif de recommander diverses actions pour permettre aux acteurs humanitaires d’intervenir plus efficacement en cas de crise humanitaire en milieu urbain, y compris en accélérant le relèvement. Cette Stratégie est conçue pour s’adapter à tous les acteurs internationaux, mandats et types de crise. En particulier, elle vise à renforcer quatre éléments : les partenariats ; les capacités de leadership nationales et locales des pays d’accueil ; la planification de la préparation et la compréhension/analyse des vulnérabilités ; et la capacité de résistance des communautés et le ciblage des bénéficiaires.

Travailler avec les organisations et les ressources communautaires

Dans chacune de ces quatre villes, et dans les situations de crise chronique tout autant que de crise aiguë, les résidents urbains s’en remettent fortement à l’organisation communautaire pour tous leurs besoins en matière de protection, logement, accès aux services essentiels et soutien à leurs moyens de subsistance. Pour les responsables de la conception d’interventions humanitaires dans ces villes, le défi consistait à parvenir à une bonne compréhension de ces communautés et à pouvoir exploiter leurs atouts.

La communauté internationale dispose d’une compréhension et de connaissances limitées du milieu urbain, qui se manifeste principalement dans :

  • Son interaction très limitée avec les gouvernements et les pouvoirs locaux, les communautés et le secteur privé, si bien que les acteurs humanitaires adoptent une approche axée sur l’offre qui s’accompagne parfois d’impacts négatifs sur les capacités préexistantes.
  • son incapacité à garder la maîtrise de situations en évolution rapide en milieu urbain.
  • un système d’enregistrement des populations touchées qui se concentre surtout sur de vastes camps auto-installés plutôt que sur les quartiers urbains : les informations ainsi générées sont souvent incomplètes et inexactes et peuvent entraver le retour sur les lieux d’origine en concentrant les efforts d’assistance dans les camps (comme en Haïti).
  • une sur-dépendance envers l’imagerie satellite pour appréhender la complexité de l’impact sur l’environnement bâti.
  • des actions non coordonnées, telles que l’évaluation détaillée des dommages menée en Haïti, qui n’a pris en compte les facteurs socio-économiques que de manière très limitée et qui ne s’est basée sur aucune communication approfondie avec les communautés, propriétaires et anciens locataires.

Déplacement et conditions environnementales urbaines

Les communautés urbaines sont très différentes d’une ville à l’autre et sont d’une bien plus grande diversité que les communautés rurales. Certains bidonvilles urbains et certaines installations de squatters constituent des communautés plus ou moins stables tandis que d’autres sont formées d’une agglomération chaotique d’individus. En général, la croissance urbaine est rapide et non planifiée, et les populations urbaines sont très mobiles; leurs communautés et quartiers sont parfois extrêmement vastes et densément bâtis et souvent en état de flux. Au contraire, l’approche traditionnelle en milieu rural, basée sur le camp, repose sur l’homogénéité supposée des communautés.

Dans les villes étudiées, le déclenchement soudain des urgences et l’arrivée imprévue de nouvelles populations se traduisaient par une pression extrême sur les infrastructures et services existants, en particulier là où les déplacés étaient accueillis par des amis ou des relations familiales. La stratégie de survie de la grande majorité des déplacés urbains dans chacune des quatre villes étudiées consistait en fait à trouver des familles qui voudraient bien les accueillir. En conséquence, il existe un besoin urgent de définir une stratégie d’appui aux familles d’accueil dans les communautés existantes, étant donné le temps nécessaire à la mise en œuvre de solutions à long terme en matière de logement. Il faut toutefois prendre bien soin de s’assurer que la culture d’accueil ne soit pas étouffée par des programmes formalisés d’appui aux familles d’accueil.

Ces études de cas ont identifié des problèmes génériques concernant tous les individus affectés par une crise en milieu urbain mais il semble que les migrants forcés et autres personnes déplacés font face à des risques et des dangers particuliers. Ces études couvraient tous les secteurs humanitaires; cet article se penche uniquement sur les résultats concernant deux de ces secteurs: la protection et le logement.

Sécurité et protection

Les besoins des populations urbaines en matière de sécurité et de protection constituent l’un de plus grands défis urbains. Immédiatement après une crise, il existe un risque d’intensification de la violence urbaine alors que les populations concernées rivalisent pour accéder aux rares ressources essentielles, telles que la nourriture, l’eau et le logement. Simultanément, les capacités des départements gouvernementaux et des pouvoirs locaux se retrouvent souvent débordées avec l’arrivée de PDI originaires de la même ville ou de villes voisines.

En général, une ville n’est jamais un lieu sûr où se réfugier. En effet, les études de cas indiquent que, par crainte d’être harcelées, détenues ou même refoulées,de nombreuses populations de réfugiés et PDI ne jouissent que d’un statut juridique précaire, ce qui réduit et souvent entrave leur accès aux mécanismes de protection officiels. Localiser les personnes déplacées, les identifier ou leur apporter une assistance exclusive constituent trois activités qui peuvent les mettre en danger et soulèvent des questions aussi bien opérationnelles que déontologiques. L’un des défis les plus importants consiste à savoir comment protéger: a) les réfugiés et PDI qui désirent rester anonymes et b) les autres, qui sont difficiles à identifier parmi les communautés dispersées.

Au Kenya, il faut espérer que la nouvelle ébauche de Politique nationale relative aux PDI devienne une partie intégrante du cadre juridique kényan, servant ainsi de garantie pour la protection des PDI dans toutes les phases du déplacement et au cours de la phase de retour. Cette politique devrait faciliter le retour en milieu urbain des PDI installés dans des camps de transit. Une politique nationale relative aux PDI telle que celle adoptée au Kenya devrait devenir une partie intégrante du cadre de protection des PDI partout ailleurs.

L’UNHCR a mis au point un outil d’Évaluation Participative de la Protection, à l’usage duquel seront formés les représentants des pouvoirs locaux afin qu’ils puissent détecter et évaluer les problèmes relatifs à la protection dans les communautés et en cas de catastrophe. Cet outil peut être adapté spécifiquement au milieu urbain et semble très prometteur; si le projet pilote parvient à l’appliquer avec succès, il pourra alors être déployé dans d’autres contextes urbains. Il faut toutefois prendre soin de s’assurer que les financements seront en quantité suffisante non seulement pour utiliser l’outil d’évaluation mais aussi pour transformer en actions concrètes les recommandations qui découleront de son utilisation.

Les études de cas mettent en lumière les avantages liés à la création de centres d’information pour les réfugiés et PDI nouvellement arrivés, qui peuvent être utilisés comme des sources d’information sur la vulnérabilité urbaine ou le profilage des PDI. Les Centres d’information communautaires et les Résidences protégées sont utiles car ils permettent aux communautés urbaines d’identifier et de cibler les personnes déplacées lorsqu’il existe un besoin d’identifier des cas « invisibles ». Il serait bon de reproduire ces modèles dans un plus grands nombre de communautés mais de telles activités demandent beaucoup de ressources et risquent de ne pas obtenir l’appui nécessaire des donateurs.

Les centres d’information peuvent aider les nouveaux réfugiés à se familiariser avec les biens et services communautaires disponibles, mieux comprendre leurs droits et leurs responsabilités, apprendre comment obtenir un traitement pour des questions « stigmatisées » telles que les VSS et le VIH/sida et, dans le cas des réfugiés, trouver où prendre des cours de langue. S’ils étaient ouverts à l’ensemble de la communauté, ils pourraient contribuer à réduire la possibilité de tensions entre les déplacés et la communauté d’accueil.

Ces approches demandent toutefois que les autorités nationales et locales garantissent un « espace de tolérance » permettant de protéger les informations et l’identité des visiteurs de ces centres. Il s’agit là d’un aspect crucial puisque les individus éviteront de visiter ces centres s’ils ont raison de croire que leur anonymat est menacé.

Les organisations pourraient faire meilleur usage des technologies de l’information, par exemple en envoyant régulièrement des messages SMS aux groupes communautaires pour les informer des services communautaires, événements, nouvelles lois et questions relatives aux droits humains qui pourraient concerner les réfugiés et PDI en milieu urbain.

Logement

Ces quatre études de cas présentent la même caractéristique saillante: les crises ont laissé un grand nombre de déplacés sans solution de logement satisfaisante pendant une longue période de temps. Le défi commun consistait à trouver comment fournir un abri adéquat à tous, en particulier dans les villes où le grand nombre d’habitants et la forte densité de population entraînent des situations chroniques, puisqu’il faut du temps pour mettre en œuvre des solutions d’hébergement à long terme et qu’il existe déjà une longue liste d’attente de personnes à qui fournir un logement décent.

Par exemple, à Manille, plus de 5 000 familles qui avaient été déplacées par les inondations provoquées par le typhon Katsana sont restées plus d’an dans des centres d’accueil, des abris temporaires ou chez des familles d’accueil. Elles sont venues s’ajouter aux 500 000 personnes qui étaient déjà en attente d’une solution d’hébergement permanente avant la catastrophe. Bien que les Shelter Clusters (Cluster des Abris) au Kenya et aux Philippines aient élaboré des stratégies pour trouver des solutions de logement, celles-ci s’avèrent très lentes à mettre en œuvre. De toute évidence, de nouvelles idées sont nécessaires pour aider les PDI en leur offrant des possibilités de logement plus rapides et de meilleure qualité. Par exemple, de nombreuses personnes déplacées à Manille payaient, sous une forme ou une autre, un loyer avant la catastrophe; cette culture préétablie de versement d’un loyer pourrait servir d’appui pour trouver une solution de logement aux personnes sans abri. A Eldoret, des matériaux de construction ont été fournis aux PDI pour qu’ils puissent construire un logement. Cependant, comme de nombreux PDI avaient l’habitude de vivre dans des structures en béton, ils étaient peu disposés à accepter une assistance sous la forme de matériaux qu’ils considéraient comme de qualité inférieure. Les solutions d’hébergement provisoires ne devraient pas non plus être un moyen indirect de suspendre les projets de logement permanent et de laisser les individus vivre dans des conditions dangereuses.

En Haïti, les discussions du Shelter Cluster concernant l’utilisation et le caractère adapté des centres d’urgence ont abouti à la confirmation que ces centres étaient le seul moyen de fournir un abri temporaire. Les autres possibilités, telles que la désignation d’installations servant exclusivement de centres d’évacuation, ont été rejetées de peur qu’elles finissent par être utilisées comme des installations informelles.

Aux Philippines, une société privée a aidé les individus à se réinstaller en construisant des appartements à faible coût dans des immeubles de taille moyenne pour les individus qui pouvaient débourser un loyer modeste. Il s’agit d’un modèle intéressant d’approche intégrée de la reconstruction post-catastrophe, y compris la planification des infrastructures, les moyens d’existence et la formation sur les entreprises familiales (entre autres activités).

La difficulté non résolue la plus importante est de savoir quoi faire du grand nombre de personnes sans abri qui vivaient dans les installations informelles mais qui n’aucun moyen de reconstruire indépendamment leur logement détruit (même s’ils n’étaient souvent rien d’autres que des petites baraques fragiles) ni aucun droit reconnu aux terres qu’ils occupaient précédemment. Les organisations internationales n’agiront pas à l’encontre des réglementations gouvernementales (ou de leurs propres principes) en apportant une assistance à la reconstruction aux individus vivant des établissements informels ou sur des terres dont la propriété ou le droit d’usage est inexistant ou contesté. L’établissement de camps périurbains sans stratégie précise pour créer des établissements permanents contribue à l’étalement chaotique des villes. Tandis que la réinstallation constitue une solution durable possible et, qui plus est, conforme aux réglementations urbaines, il est nécessaire de trouver une solution immédiate en attendant que de nouveaux logements soient construits. Dans certains cas, lorsque cela est possible, un arrangement écrit pourrait être passé entre la municipalité et les PDI, stipulant que ces derniers quitteront leur site d’installation actuel une fois que des logements permanents seront disponibles.

Conclusion

La Stratégie porte sur la manière dont les acteurs humanitaires, que ce soit l’ONU ou les ONG, peuvent et doivent continuer à améliorer et adapter leurs interventions, mais aussi à casser le moule de l’intervention humanitaire dans le contexte où les populations touchées par des crises vivent en milieu urbain. L’un des éléments-clés de cette stratégie est de reconnaître que les villes disposent d’infrastructures sociales et institutionnelles préexistantes, que l’intervention doit prendre en compte.

Ainsi la Stratégie identifie de nombreuses possibilités de collaboration plus étroite entre les acteurs de l’assistance humanitaire internationale, les gouvernements et les partenaires non traditionnels de la société civile et du secteur privé. En raison de la grande échelle et de l’augmentation de la fréquence des urgences en milieu urbain, une collaboration plus poussée entre ces acteurs semble indispensable, aussi bien pour élaborer des interventions d’urgence permettant d’atteindre les populations les plus vulnérables et les plus touchées, que pour déployer l’assistance humanitaire elle-même.

Roger Zetter (roger.zetter@qeh.ox.ac.uk) est directeur du Centre d’études sur les réfugiés (www.rsc.ox.ac.uk). George Deikun (deikun.unhabitat@unog.ch) est le directeur du Bureau de liaison et humanitaire d’ONU-HABITAT, à Genève (www.unhabitat.org); les opinions exprimées ici sont les siennes et ne représentent pas nécessairement celles d’ONU-HABITAT ou du CPI.

 

 

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