Exposition à la violence sexuelle et sexiste des réfugiés qui souffrent d’un handicap de communication : ce que montre une étude menée au Rwanda

Les réfugiés qui souffrent d’un handicap de communication sont particulièrement exposés à la violence sexuelle et sexiste, en partie du fait de leurs limitations à signaler un abus.

On a assisté ces dernières années à des efforts concertés des acteurs humanitaires pour inclure les personnes handicapées dans la programmation et la prestation de services. Toutefois, les personnes identifiées comme handicapées sont dans la majorité des cas des personnes souffrant de difficultés physiques « visibles ». Les personnes atteintes de troubles moins visibles, comme les déficits de communication, continuent à ne pas être identifiées et restent dans l’incapacité d’accéder aux services humanitaires et de protection dont elles ont besoin. 

Une personne souffrant de handicaps de communication peut éprouver des difficultés à comprendre et/ou à s’exprimer, et à utiliser un langage verbal ou par signes. Les études suggèrent que près de 49 % des personnes handicapées cherchant à obtenir des services en Afrique de l’Est souffrent d’une forme ou d’une autre de difficulté de communication[1], mais les difficultés auxquelles elles font face sont rarement repérées du fait de la nature « cachée » de ce type de handicaps : le handicap de communication est à la fois invisible et souvent compliqué par d’autres handicaps. Dans de nombreux pays à revenus faibles ou moyens, les services destinés à aider les personnes souffrant de handicaps de communication sont soit très réduits ou inexistants. En outre, une incompréhension généralisée des causes et de la nature des handicaps de communication engendre souvent l’exclusion ou un mauvais accès de ces personnes au soutien disponible au sein de la communauté ou par le biais de services informels.

La violence basée sur le sexe et le genre (VBSG), couramment aussi appelée violence sexuelle et sexiste, constitue un risque notoire pour les réfugiés au Rwanda, et plus particulièrement pour les femmes et les enfants. Le risque est considéré comme sensiblement plus élevé dans le cas des réfugiés handicapés, du fait de facteurs comme la séparation avec les familles, l’isolation et des conditions de vie précaires qui peuvent les affecter de manière disproportionnée, tout cela conjugué à une pénurie de mécanismes communautaires de protection. D’autres facteurs peuvent également contribuer à cette situation, comme la stigmatisation des personnes handicapées, le discrédit jeté sur leur parole lorsqu’ils/elles signalent un abus, et dans certains cas, le manque de mobilité qui ne leur permet pas de s’échapper.

Il arrive que les personnes qui souffrent de handicaps de communication soient spécifiquement ciblées parce qu’elles ont moins de chance de pouvoir signaler les abus, d’en décrire les auteurs avec précision ou de mener à terme une procédure juridique. Les informations rassemblées suggèrent qu’outre la privation de services de soutien suite aux abus, les personnes souffrant de handicaps de communication n’ont pas non plus accès aux mesures de prévention destinées aux autres réfugiés, comme celles relatives à l’éducation sexuelle et reproductive.

Il ressort de plus en plus que les organisations humanitaires commencent à reconnaître les handicaps de communication parmi les obstacles qui empêchent l’accès aux services liés à la violence sexuelle et sexiste (et notamment aux mesures de prévention et de recours juridique) et qu’ils constituent un risque de protection majeur[2], mais sans toutefois qu’il y ait des indications pour suggérer que cette reconnaissance se traduit par de bonnes pratiques et un soutien effectif pour aider les personnes concernées à signaler des violences sexuelles et sexistes et leur apporter une assistance permanente. Au Rwanda, les travailleurs humanitaires de première ligne sont conscients des difficultés que rencontrent les personnes souffrant de handicaps de communication dans le cadre des systèmes de réponse à la violence sexuelle et sexiste, mais ne se sentent pas suffisamment bien équipés pour répondre à leurs besoins. 

Identification des difficultés

En réponse aux préoccupations soulevées par le bureau au Rwanda du l’HCR, l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés, et suite à un examen approfondi de la documentation disponible3, un projet impliquant la participation de l’Université métropolitaine de Manchester, de l’organisation Communicability Global et du HCR a été mis sur pied afin d’obtenir davantage d’information sur l’échelle et la nature des problèmes auxquels sont confrontés les réfugiés souffrant de handicaps de communication et leurs aidants, en matière d’accès à des services psychosociaux, juridiques et médicaux de soutien en cas de violence sexuelle et sexiste4. Nous avons tout d’abord mené au Rwanda des groupes de discussion dirigée avec des employés humanitaires de première ligne et des membres des communautés (y compris des mobilisateurs communautaires dont la responsabilité est d’aider les réfugiés à obtenir les services de soutien appropriés) dans un contexte de camps et en milieu urbain. Nous avons également mené quelques entretiens individuellement et en petits groupes avec des aidants de personnes souffrant de handicaps de communication, afin de découvrir les difficultés qu’eux-mêmes et la personne qu’ils aident rencontrent. (À ce stade, nous n’avons pas abordé spécifiquement avec les aidants de personnes souffrant de handicaps de communication la question de la violence sexuelle et sexiste à cause de la nature sensible et pénible du sujet). Ce n’est qu’indirectement par l’intermédiaire du personnel humanitaire et des mobilisateurs communautaires que des informations concernant l’expérience vécue par les survivants de violence sexuelle et sexiste qui souffrent d’un handicap de communication ont été obtenues.

Nous avons alors organisé un séminaire à l’intention des principales parties prenantes (agences des Nations Unies, organisations nationales, organisations locales de personnes handicapées, et un psychologue clinicien disposant d’une expertise dans le domaine de la violence sexuelle et sexiste) afin d’explorer les difficultés rencontrées par les réfugiés qui souffrent de handicaps de communication pour accéder aux services appropriés, obtenir une amélioration de ces services et mettre sur pied un consortium d’organisations expertes dans le but de faire avancer ce travail.

Les constatations à l’issue de cette enquête préliminaire indiquent que la compréhension concernant les handicaps de communication est très limitée, et ce, de manière générale, au sein des communautés et parmi les prestataires de services et les acteurs stratégiques. Pour les personnes qui souffrent de handicaps de communication, les obstacles en vue d’obtenir des services se dressent à chaque étape de la réponse face à la violence sexuelle et sexiste : prévention, divulgation, soutien et réparation. Des cas ont été mentionnés d’auteurs de ce type de violence qui ciblaient des personnes souffrant de handicaps de communication et leur offraient de la nourriture pour les faire taire ou les menaçaient de les dénoncer, et des preuves ont montré que des personnes souffrant de handicaps de communication étaient ciblées dans leur propre maison lorsqu’elles se trouvaient seules. Les personnes souffrant de handicaps de communication sont en butte à une discrimination et un discrédit tellement endémiques de la part des membres de la communauté et des prestataires de services qu’il leur est pratiquement impossible de signaler des abus.

Plus significatif encore, les prestataires de services n’ont pas une connaissance et une compréhension suffisantes de la variété et de l’impact des handicaps de communication, ni les compétences nécessaires pour apporter un soutien à ceux qui en souffrent. On observe également un malentendu largement répandu selon lequel le recours au langage des signes serait la solution optimale, alors même qu’une majorité de personnes souffrant de handicaps de communication dans les contextes humanitaires n’utilisent pas de langage des signes de type formel. Il est apparu clairement dans les cas où une victime de violence sexuelle et sexiste souffrait d’un handicap de communication que les médecins n’avaient pas les compétences nécessaires pour obtenir un rapport médical détaillé et que la police était incapable de recueillir efficacement une déposition. En outre, les systèmes judiciaires ne sont probablement pas en mesure non plus d’intenter des poursuites juridiques si la victime n’est pas capable de témoigner du crime. Et pour finir, les services d’accompagnement et de soutien psychosocial se fondent fréquemment sur des thérapies verbales, et les prestataires manquent des compétences et des ressources nécessaires pour offrir des services en utilisant d’autres méthodes de communication.

Amélioration des services

Au cours du séminaire, les participants ont mis en évidence les actions qu’eux-mêmes et leurs organisations pourraient entreprendre au cours des cinq prochaines années au moins pour améliorer les services destinés aux réfugiés souffrant de handicaps de communication qui ont subi des violences sexuelles et sexistes. Certains des engagements suivants ont ainsi été pris : formation et renforcement des capacités de tous les prestataires de services pour qu’ils comprennent et soient capables de repérer les handicaps de communication, mobilisation et sensibilisation auprès des communautés, développement de matériel afin d’aider les personnes à dénoncer la violence sexuelle et sexiste (par exemple en utilisant des pictogrammes ou des objets pour que les personnes puissent montrer ce qu’elles ont subi plutôt que d’être limitées à une communication uniquement verbale), accès aux soins médicaux et aux services juridiques, et meilleure inclusion en matière d’éducation – à la fois en ce qui concerne l’éducation formelle et l’éducation à la santé sexuelle et reproductive (SSR). La santé sexuelle et reproductive est un domaine qui a été identifié comme crucial pour la prévention de la violence sexuelle et sexiste, et tant l’examen documentaire que les rapports émanant des parties prenantes ont souligné l’absence de services inclusifs d’éducation à la SSR au sein des communautés réfugiées.

Les priorités déterminées pour le projet incluent : a) le travail en collaboration avec les principales parties prenantes afin d’engager un dialogue avec les personnes souffrant de handicaps de communication qui ont subi des violences sexuelles et sexistes et leurs familles, en vue de mieux comprendre leurs besoins et les difficultés qu’elles rencontrent, mais aussi de les associer à tout développement futur dans ce domaine ; b) le travail en collaboration avec des partenaires afin de concevoir, mettre en œuvre et évaluer des changements dans les processus et services, de manière à renforcer l’inclusion des personnes souffrant de handicaps de communication dans le cadre de l’éducation à la SSR et améliorer leur capacité d’accès à des interventions adaptées à la violence sexuelle et sexiste.

Pour que ce travail puisse se réaliser, les acteurs humanitaires devront bien évidemment être en mesure de repérer les personnes souffrant de handicaps de communication, ce qui nécessitera de former le personnel des agences, les chefs de communauté, les membres des comités de personnes handicapées, les mobilisateurs communautaires (et les bénévoles), et de mettre en place des systèmes permettant d’enregistrer et de recueillir des informations sur les personnes et les besoins[3][1]. Il sera essentiel également de prendre en considération les implications éthiques ainsi que les systèmes de soutien nécessaires afin de s’impliquer auprès d’un groupe de personnes aussi vulnérables sur un sujet aussi sensible et pénible.

 

Julie Marshall j.e.marshall@mmu.ac.uk
Maître de conférences Handicap et développement de la communication, Université métropolitaine de Manchester
http://bit.ly/MMU-Julie-Marshall

Helen Barrett helen.barrett@communicabilityglobal.com
Orthophoniste / Conseillère pour l’inclusion, Communicability Global, Rwanda
www.communicabilityglobal.com      

Angelo Ebengo ebemuzal@yahoo.fr
Directeur général, Initiative for Refugees with a Disability, Rwanda
http://irdrwanda.org/fr.html                

Les auteurs souhaitent remercier les familles des personnes souffrant d’un handicap de communication qui ont accepté de parler de leur expérience ainsi que toutes les autres personnes impliquées dans ce projet.




[1] Hartley S (1995) « The proportion of people with communication disabilities seeking help from community development assistants (CDAs) in Eastern Uganda », Travaux du 23e Congrès mondial de l’Association internationale de logopédie et phoniatrie, Le Caire.

[2] Plan International (2016) Protect Us! Inclusion of children with disabilities in child protection
https://plan-international.org/protect-us

3 Literature review en ligne www2.mmu.ac.uk/media/mmuacuk/content/documents/hpsc/research/understanding-SGBV-in-refugees-with-a-communication-disability-literature-review.pdf ou de Julie Marshall.  

4 Le projet a été soutenu par le Fonds pour l’innovation humanitaire d’Elrha www.elrha.org/hif

5 Voir également, Commission des femmes pour les réfugiés (2015) « Je vois que cela est possible » Renforcer les capacités pour l’inclusion du handicap dans les programmes relatifs à la violence basée sur le genre dans les environnements humanitaires ».
www.womensrefugeecommission.org/resources/document/download/1172

 

 

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