Susciter « un espoir raisonnable » chez les réfugiés et demandeurs d’asile

La perte de tout espoir engendre au fil du temps le désespoir et une crise de santé mentale chez les réfugiés et les demandeurs d’asile qui se trouvent sur les iles de Manus et Nauru. Le recours au principe de restauration « d’un niveau raisonnable d’espoir » peut néanmoins contribuer à renforcer leur santé mentale et leur bien-être.  

Les raisons pour lesquelles des individus sont amenés à chercher asile sont diverses, mais le facteur commun est le besoin impérieux de s’enfuir et un espoir que l’existence ailleurs sera meilleure. Pour de nombreux demandeurs d’asile, l’Australie semble offrir tout ce qu’ils peuvent espérer. Mais en août 2012, le gouvernement australien, rendu nerveux par l’impression du public d’être « submergé » par les demandeurs d’asile, a adopté une législation décrétant que tous les arrivants maritimes irréguliers (c’est-à-dire tous les demandeurs d’asile arrivant par bateau) seraient envoyés sur l’ile de Manus en Papouasie Nouvelle-Guinée ou sur celle de Nauru, en attendant le traitement de leur demande d’asile. En outre, en septembre de cette même année, le gouvernement a annoncé que les réfugiés qui étaient arrivés par bateau le 13 août 2012 et après cette date n’auraient plus la possibilité de parrainer les membres de leur famille en vue d’une réinstallation dans le pays, et finalement en octobre 2016, le gouvernement a annoncé que les individus qui avaient été envoyés sur les iles de Manus et Nauru depuis juillet 2013 n’obtiendraient jamais, en aucune circonstance, la permission de s’installer en Australie.

Le critère déterminant pour décider si une personne serait détenue en Australie ou envoyée à Nauru ou Manus est donc devenu une question de date d’arrivée ou de moyen de transport – ou pouvait occasionnellement, en fonction du moment, dépendre d’autres motifs tout aussi inexplicables. L’incapacité de comprendre le processus ou d’anticiper les événements futurs, l’impuissance et l’injustice évidente du processus ne sont pas seulement des facteurs de risque en termes de santé mentale, mais bien des causes de déclin cognitif et de dépression nerveuse[1].

Dans les limbes sur Nauru

Nauru est une ile minuscule du Pacifique - suffisamment exiguë pour en faire le tour en voiture en une demi-heure. Depuis ces dix dernières années approximativement, sa source de revenus la plus importante provient de centres de rétention pour émigrés construits et financés par le gouvernement australien. Les demandeurs d’asile envoyés à Nauru sont détenus pendant l’examen de leur demande d’asile ; la plupart d’entre eux sont reconnus comme réfugiés et sont alors « installés » dans plusieurs camps situés autour de l’ile. La vie à l’extérieur du centre de rétention est peut-être encore plus difficile qu’à l’intérieur : agressions, viols, incidents de harcèlement d’enfants, mauvaises conditions de scolarité, soins médicaux déplorables ainsi qu’une myriade de facteurs de stress et de risques liés à la santé mentale sont signalés. Ce n’est pas ce qui était espéré.

L’alternance de vagues d’espoir et de désespoir érode progressivement la santé mentale, et alors que les mois se transforment en années, et que les années succèdent aux années, l’espoir d’arriver en Australie ou dans un autre pays devient l’unique objectif. Sur une période de deux ans jusqu’à décembre 2016, j’ai travaillé comme psychologue consultant chargé d’apporter un soutien et une formation aux employés du camp d’installation de réfugiés sur Nauru parmi lesquels se trouvaient également des réfugiés[2]. Pendant cette période, j’ai pris conscience des facteurs de risque que cette concentration écrasante sur ce que j’appelle un « immense espoir unique » – à savoir de réussir à quitter Nauru fait peser sur la santé mentale – et comment le concept d’« espoir raisonnable » articulé par Kaethe Weingarten[3] peut contribuer au maintien de processus mentaux sains et à la préservation de la santé mentale.

Le personnel de soutien et les professionnels en santé mentale ne se cessent de lutter afin de trouver des stratégies viables pour maintenir la santé mentale des réfugiés sur Nauru. Certains professionnels s’inquiètent d’encourager l’espoir face à une situation qui semble bien souvent désespérée, soucieux de ne pas entretenir de faux espoirs. D’autres encouragent cet « immense espoir unique », peut-être en espérant que la vision du désespoir des réfugiés servira à faire la preuve que l’installation à Nauru ne fonctionne pas et qu’ils doivent être réinstallés ailleurs, en Australie ou dans un autre pays. Même avec la meilleure intention, le résultat est une préoccupation constante à propos de l’avenir et à propos de ce qui peut apparaitre comme un espoir inatteignable de réinstallation ailleurs. Ce type d’obsession a entrainé des problèmes sérieux de santé mentale ainsi que des comportements suicidaires, avec dans certains cas, des séquelles graves et des décès, ce qui se produit plus particulièrement après des événements perçus comme des opportunités, tels que des élections ou des visites  du HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés.   

D’un point de vue neurologique, le résultat de cette focalisation constante sur un espoir distant contribue à renforcer des connexions neuronales associées à cet espoir et à en détériorer d’autres qui n’y sont pas associées. Éprouvés de cette manière, les individus trouvent difficile de poursuivre des activités quotidiennes et des processus mentaux utiles à la vie de tous les jours.

Du désespoir à un espoir « raisonnable »

L’une des principales tâches du personnel de soutien dans un camp de réfugiés est, ou devrait être, d’aider leurs bénéficiaires à conserver des processus mentaux sains en dépit de l’incertitude, de la déception et du manque apparent d’espoir. Même si les ressources sont minimales, le personnel peut recourir à des interventions et des pratiques qui ont fait leurs preuves et qu’ils peuvent appliquer avec professionnalisme, persistance et imagination. La première intention est de stimuler des connexions neuronales dans le cerveau, non pas pour encourager le déni ou l’extinction de l’immense espoir unique, mais pour encourager le développement et le renforcement d’autres connexions neuronales – d’autres processus de pensée – en identifiant d’autres espoirs qui ont une probabilité relativement élevée de se réaliser.

« L’objectif de l’espoir raisonnable est le processus qui permet de prendre conscience de ce qui existe maintenant avec la conviction que cela nous prépare à nous confronter à ce qui nous attend. Avec l’espoir raisonnable, le présent est rempli par le travail et non pas par l’attente […], il nous propose une manière d’envisager l’espoir, pour le thérapeute comme pour le client, qui nous le rend plus accessible même dans les situations les plus sombres… ».

Kaethe Weingarten

Selon Weingarten, l’espoir raisonnable comprendrait cinq caractéristiques principales :

Premièrement, il est « relationnel » dans la mesure où il se nourrit de relations et qu’il ne consiste pas simplement en un attribut individuel. J’ai découvert que cela trouvait une résonnance chez les réfugiés de Nauru alors qu’ils vivent en contact étroit les uns avec les autres dans une situation identique et soutenus par un personnel empathique.

Deuxièmement, il consiste en une pratique qui est un processus quotidien plutôt qu’un but – il s’agit de faire plutôt que de souhaiter. Ceci est fondamentalement important pour les réfugiés avec leur immense espoir unique qui consiste généralement en un seul but : quitter Nauru ou obtenir un visa. Cette caractéristique de l’espoir raisonnable déplace le renforcement des connexions neuronales associées à l’immense espoir unique de manière à renforcer celles associées à l’existence au quotidien.

Troisièmement, il maintient l’idée que, si l’avenir est incertain, il reste ouvert. Même si l’incertitude est un facteur de risque significatif en termes de santé mentale pour les réfugiés et les demandeurs d’asile, sa caractéristique principale est qu’il subsiste des possibilités. Personne ne peut prévoir ce qu’il y a au détour du chemin. J’ai bien souvent utilisé cela avec les réfugiés de Nauru afin de remettre en cause leur désespoir et leur pessimisme.

Quatrièmement, il cherche des objectifs et des voies vers des objectifs identifiés. En identifiant des objectifs réalistes ainsi que des voies permettant d’atteindre ces objectifs, les réfugiés peuvent retrouver – souvent à travers un processus d’essais et erreurs – une sensation de contrôle et de prévisibilité sur leur vie quotidienne. À mesure que de nouvelles connexions et réseaux neuronaux sont activés, les facultés cognitives s’améliorent, comme s’améliorent également de manière générale la santé mentale et le bien-être.

Cinquièmement, il permet de s’accommoder du doute, de la contradiction et du désespoir – une fonction extrêmement adaptée dans l’environnement dans lequel vivent les réfugiés.

Se former à encourager l’espoir raisonnable offre à ceux qui soutiennent les réfugiés et les demandeurs d’asile des mécanismes pratiques qui leur permettent d’aider leurs bénéficiaires à se concentrer sur le présent et à renforcer des processus cognitifs positifs. Il n’est en aucun cas mon intention de priver les réfugiés et les demandeurs d’asile de l’espoir de quitter les iles de Manus et Nauru. L’immense espoir unique restera présent dans leur esprit. Toutefois, plutôt que de n’avoir que cet espoir unique, distant, qui domine leur existence, le concept d’espoir raisonnable peut leur apporter d’autres points d’ancrage pour les aider à se concentrer sur le présent et le futur immédiat, et leur permettre individuellement d’identifier des espoirs plus limités et humbles mais atteignables, et à ce titre, susceptibles de leur apporter une satisfaction et une motivation supplémentaires. Lorsque les réfugiés et les demandeurs d’asile finissent par atteindre un lieu de sécurité, leurs processus mentaux seront restés intacts et ils seront dans une meilleure position pour se confronter aux défis de la réinstallation et mener une existence productive.  

 

Greg Turner greg.turner@globalcommunityconsulting.com
Propriétaire et psychologue consultant de Global Community Consulting
www.globalcommunityconsulting.com



[1] The Nauru files, The Guardian www.theguardian.com/news/series/nauru-files

[2] L’organisation chargée de l’installation employait des réfugiés à des postes administratifs ou de soutien opérationnel – ce qui avait des avantages en termes de participation, mais entrainait aussi des conflits de rôles et des difficultés interpersonnelles. 

[3] Weingarten K (2010) « Reasonable hope: Construct, clinical applications and supports », Family Process, 49 (1): 5-25 www.kean.edu/~psych/doc/reasonable%20hope.pdf

 

 

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