Une diversité de données est nécessaire pour inspirer la conception

Les développeurs de Refugee Housing Unit connaissent chaque facette et chaque composante de la structure qu’ils ont conçue, mais ne pourront jamais savoir ce que c’est que de se réveiller chaque jour dans l’une d’elles. De la même manière, l’utilisateur final ne dispose ni des outils ni des ressources pour apporter de grandes modifications à cette structure. L’important ici, c’est qu’ils sachent comment travailler ensemble.

The Better Shelter ou Refugee Housing Unit (RHU) est un projet conjoint de l’entreprise sociale suédoise Better Shelter, du HCR et de la Fondation IKEA. Lancé en 2010, ce projet a été déployé à grande échelle en 2015. Depuis, des milliers d’abris ont été expédiés à des camps de réfugiés, des sites de transit et des programmes d’intervention d’urgence en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie pour servir d’hébergement aux personnes déplacées ou de cliniques, de bureaux et d’espaces de stockage pour les ONG.

Dès le départ, l’ambition du projet était de développer une solution d’abri d’urgence considérablement améliorée pour les situations de réfugiés, dans les cas où il n’était pas possible d’utiliser des matériaux locaux. Alors qu’il n’existe indubitablement aucune solution « universelle », il est toutefois nécessaire de comprendre les besoins des utilisateurs finaux pour éclairer les décisions en matière de conception, même pour une solution d’abri mondiale. Ainsi, l’organisation d’entretiens avec les utilisateurs et de tests pilotes faisait partie intégrante du processus de conception. Bien que l’équipe de conception soit consciente qu’il n’est pas possible de considérer les informations recueillies comme représentatives de l’ensemble des utilisateurs et des contextes, celles-ci ont toutefois permis de développer des hypothèses générales à propos des besoins des utilisateurs au niveau mondial. La plus grande difficulté de ce processus n’était pas seulement de formuler des hypothèses pertinentes, mais aussi de trouver le bon équilibre entre ces dernières et d’autres exigences plus tangibles et mesurables, telles que les coûts de production, l’adaptabilité de la conception aux conditions de production, et la distribution.

Pendant la première phase de développement du RHU, un projet pilote, a été établi dans les camps de Dollo Ado en Éthiopie, dans le cadre duquel 39 familles ont emménagé dans les unités de logement pendant une période d’essai intensive de six mois en vue de faire part de leurs commentaires, essentiels pour l’équipe de conception. Certains aspects des unités ne faisaient pas l’unanimité parmi les réfugiés, par exemple le placement des portes ou le niveau de lumière entrant par les fenêtres les jours nuageux. Quelques problèmes de fabrication ont également été identifiés, de même que des difficultés liées aux vents plus forts que prévu ou au soleil brûlant. Avant son déploiement à plus grande échelle en 2015, la conception de l’abri a été peaufinée en tenant compte de ces commentaires et les unités ont été modifiées, par exemple pour les rendre plus confortables en cas de températures élevées, puis conditionnées afin d’en faciliter l’assemblage. Alors que des milliers d’abris sont aujourd’hui utilisés dans le monde entier, il a été possible de les évaluer à plus grande échelle, et il est prévu qu’une version améliorée voie le jour en 2017.

Bien que, dans notre cas, il soit vital d’effectuer des tests techniques sous différents climats, nous avons également besoin de recevoir des informations subjectives de la part des personnes résidant dans nos abris. Il est toutefois difficile de retrouver leurs commentaires d’une manière continue et structurée. Il est donc essentiel que le développeur se rende de temps en temps sur le terrain pour réaliser des essais techniques, mais aussi pour modifier les structures de manière à refléter les véritables besoins de leurs bénéficiaires.

Distance géographique et culturelle

En notre qualité de partenaire du secteur privé basé en Europe, comment pouvons-nous nous assurer de ne pas perdre le contrôle sur le cycle de vie du produit et sur les commentaires des utilisateurs une fois que le produit a quitté notre atelier et notre dépôt, dans la mesure où nous n’avons aucun mandat direct vis-à-vis des utilisateurs finaux et que nous agissons uniquement en tant que fournisseur de produits et services ? Nous collectons des données quantitatives par le biais d’enquêtes envoyées par voie électronique et des chiffres de vente et de distribution. Cependant, pour obtenir un feedback qualitatif structuré de la part des utilisateurs finaux à propos de leurs expériences personnelles, régionales ou culturelles, il est nécessaire de conduire des recherches, notamment sous forme d’entretiens, de groupes de discussions et d’observations, auxquelles nous n’avons généralement pas ou peu accès.

Au contraire des clients d’IKEA, les utilisateurs finaux dans un camp de réfugiés ou de PDI ne peuvent pas choisir l’abri d’urgence ou post-urgence dans lequel ils souhaitent vivre. Cette décision est prise par les organisations humanitaires et/ou les bailleurs de fonds, si bien que le développement du produit est influencé par l’acheteur et le bailleur de fonds, qui ont l’occasion de faire entendre leur voix et l’avantage de la proximité. Mais même s’ils en savent beaucoup au sujet des besoins particuliers des utilisateurs finaux, ils n’en demeurent pas moins des intermédiaires. Il en va de même pour l’équipe de conception : formés en Europe dans des écoles de design européennes, nous sommes les héritiers d’une certaine tradition qui risque de ne pas toujours être adaptée à tous les contextes.

Est-il possible d’agréger les données provenant de différentes communautés afin de dresser un tableau universel des besoins en matière d’abri et des besoins humains ? Afin de surmonter ce défi, nous avons conçu un abri modulaire, que les utilisateurs peuvent adapter autant que possible en fonction de leurs besoins. Grâce à la simplicité de sa conception, cet abri peut être façonné à la manière d’une toile blanche, comme le souhaitent les résidents, tant sur le plan esthétique que fonctionnel. Cet abri a été conçu, et est constamment amélioré, dans l’optique de permettre aux utilisateurs finaux de l’adapter.

Enseignements tirés

De notre collaboration autour du RHU et de sa mise à l’essai auprès des personnes déplacées, nous avons notamment tiré les enseignements suivants :

  • Il est important de définir des directives et des processus de feedback pour recueillir les opinions et les expériences des utilisateurs finaux, et ce, dès le début du projet. Les participants à la conception doivent identifier le type d’informations qu’ils ont le plus besoin de recueillir auprès des utilisateurs finaux, tandis que les partenaires en activité sur le terrain doivent s’assurer de pouvoir procéder à la collecte de ces informations.
  • Interviewer les collaborateurs à tous les niveaux et dans tous les départements des organisations partenaires pour comprendre leurs besoins sur le terrain, de même que les processus logistiques et de passation de marchés.
  • Accepter que vous ne recevrez jamais le feedback que vous souhaitez, mais tirer le plus grand parti des informations obtenues.
  • Votre solution sera utilisée dans un large éventail de contextes et ne sera pas idéale à chaque fois.
  • Les concepteurs ne peuvent pas à eux seuls résoudre les problèmes de conception : nous avons besoin de l’appui d’anthropologues, de sociologues et de spécialistes de l’humanitaire pour conduire des recherches sur les besoins humains au-delà du simple abri physique (c’est-à-dire le logement, la communauté, la sécurité, la dignité).
  • La diversité des partenaires de conception est utile dans la mesure où différentes réalités sont représentées, ce qui permet de créer un produit plus polyvalent et donc un concept pouvant être déployé dans autant de contextes que possible en répondant au plus grand nombre de besoins possible.

 

 

Märta Terne marta.terne@bettershelter.org
Directrice de communication, Better Shelter

Johan Karlsson johan.karlsson@bettershelter.org
Directeur général, Better Shelter

Christian Gustafsson christian.gustafsson@bettershelter.org
Designer, Better Shelter

Better Shelter www.bettershelter.org

 

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