Risques encourus après un rapatriement forcé : expériences de jeunes Afghans à leur retour

De nouvelles recherches ont documenté les résultats du rapatriement forcé de jeunes demandeurs d’asile du Royaume-Uni vers l’Afghanistan. Leurs conclusions soulignent à la fois les difficultés rencontrées par les rapatriés et la nécessité d’assurer un suivi continu.

Au cours des neuf dernières années, le Royaume-Uni a rapatrié de force[1] vers l’Afghanistan 2 018 jeunes Afghans qui étaient arrivés en tant qu’enfants non accompagnés demandeurs d’asile et qui avaient passé les années formatrices de l’adolescence entre les mains du système d’assistance du Royaume-Uni. Leur rapatriement les renvoie souvent à des situations précaires et dangereuses.

Il y a quelques années, des recherches préliminaires entreprises par le Refugee Support Network (RSN, réseau de soutien aux réfugiés), basé au Royaume-Uni, ont mis en lumière certains des principaux défis pour cette cohorte de jeunes confrontés à un rapatriement forcé[2]. De plus, deux facteurs exacerbaient ces défis : la transition abrupte d’enfants « dont le système s’occupait » à des adultes demandeurs d’asile déboutés et jouissant de droits limités ; et l’absence de liens ou d’approches conjointes entre le secteur de l’assistance aux demandeurs d’asile et aux réfugiés au Royaume-Uni tant qu’ils étaient dans ce pays et le secteur du développement international après leur retour dans leur pays d’origine. Ainsi, à l’un des moments les plus précaires de leur parcours de vie, d’anciens enfants demandeurs d’asile non accompagnés se retrouvaient coupés de tout soutien, face à un futur incertain.

En réaction, RSN a établi son programme Youth on the Move (« Jeunes en mouvement ») afin de soutenir les anciens enfants demandeurs d’asile non accompagnés qui n’étaient pas parvenus à obtenir le statut de réfugié et qui devaient aujourd’hui affronter la possibilité d’être rapatriés contre leur gré en Afghanistan. Les objectifs généraux et à long terme du programme visaient à ce que plus aucun ancien mineur non accompagné ne se retrouve seul et sans soutien face à la possibilité d’un rapatriement forcé vers l’Afghanistan, et à conduire des recherches pour suivre les résultats de ces jeunes personnes en vue d’introduire une approche mieux informée et plus compatissante au Royaume-Uni. Suite à l’accord annoncé en octobre 2016 entre l’UE et les autorités afghanes obligeant ces dernières à accueillir un plus grand nombre de demandeurs d’asile déboutés, nous avons plus que jamais besoin de données tangibles concernant la réalité sur le terrain.

Rechercher les résultats

Pendant une période de 18 mois en 2014-15, RSN a suivi systématiquement les événements de la vie d’anciens enfants demandeurs d’asile qui avaient été rapatriés de force vers l’Afghanistan après leurs 18 ans, afin de documenter leurs expériences et, pour la première fois, de combler une lacune de données vitale dans l’évaluation de leur réintégration, sûreté et sécurité, éducation, emploi, santé et bien-être[3]. Nous avons conduit 153 entretiens semi-structurés approfondis avec 25 jeunes qui avaient été rapatriés contre leur gré du Royaume-Uni[4].

La première difficulté qui est apparue au cours de ce processus était d’établir le contact avec ces jeunes personnes après leur retour. Au moment de leur rapatriement forcé, 45 jeunes avaient été orientés vers le responsable du suivi de RSM, basé à Kaboul, mais 16 d’entre eux n’ont jamais établi de contact et ne pouvaient pas être contactés après leur retour. On ne sait pas pourquoi ces jeunes ont choisi de ne pas contacter le responsable du suivi, ou n’en ont pas été capables, mais il est potentiellement préoccupant qu’il se soit avéré impossible d’établir le contact avec un nombre si élevé de jeunes rapatriés (36 % du total de jeunes orientés).

La deuxième difficulté était de rester en contact avec ces rapatriés afin d’organiser plusieurs entretiens au cours de la période de recherche. Six de ces jeunes ont quitté l’Afghanistan au cours du processus de recherche, tandis que 12 autres sont partis de Kaboul. Lorsque cela était possible, nous conduisions des entretiens approfondis par téléphone ou par Skype avec les jeunes qui n’étaient plus à Kaboul. Pour 11 de ces jeunes personnes, le contact s’est interrompu avant la fin du processus de recherche car le programme ne possédait plus les bonnes coordonnées ; nous ne savons toujours pas où se trouvent ces personnes ni si elles vont bien. Il est également possible que pour des raisons de sécurité, certains aient choisi délibérément de ne pas divulguer leurs nouvelles coordonnées. Tout au long de ces recherches, il semblait évident qu’un grand nombre de jeunes souhaitaient cacher le fait qu’ils avaient vécu au Royaume-Uni car, par exemple, le retour était considéré comme un échec ou associé à la criminalité, ou parce que la perception de leur occidentalisation pouvait entraver leur capacité à trouver un emploi et un logement et à reprendre contact avec leurs familles. En particulier, lorsqu’ils se rendaient dans des zones contrôlées par les Talibans, ils ne voulaient pas qu’on les entende parler anglais ni que l’on découvre des coordonnées internationales dans leur téléphone. La sécurité de ces jeunes est primordiale et aucune pression ne devrait être exercée sur eux pour garder le contact si cela pouvait les mettre en danger.

Résultats et conclusions de la recherche

En plus d’identifier le nombre élevé de jeunes qui avaient de nouveau quitté l’Afghanistan, nos recherches ont souligné un éventail de défis interconnectés auxquels font face les anciens enfants demandeurs d’asile après leur rapatriement forcé en Afghanistan. Ces défis incluent :

  • l’impact de l’affaiblissement ou de la disparition de leur famille et de leurs réseaux sociaux
  • la crainte de la stigmatisation et de la discrimination, qui entrave l’établissement de nouveaux réseaux sociaux et mène à son tour à un plus grand isolement
  • les difficultés pour accéder à un soutien international et la dépendance envers une assistance ponctuelle apportée par des personnes Royaume-Uni
  • l’insécurité et la victimisation généralisées sous l’effet de questions liées à la demande d’asile initiale ou à leur identité de rapatrié
  • la quasi impossibilité de poursuivre leur éducation après leur rapatriement forcé en raison de son coût, de leur manque d’instruction afghane, du caractère inadapté des études suivies au Royaume-Uni, ou encore parce que leur priorité est de gagner de l’argent afin de survivre
  • la difficulté de trouver un emploi durable et l’impact de cette situation sur la capacité des jeunes rapatriés à survivre ou rester en Afghanistan
  • les troubles de santé mentale et la détérioration prolongée du bien-être émotionnel, avec des difficultés particulières en cas d’interruption de soins ou d’un traitement spécialisés après le rapatriement
  • l’accès limité à un soutien et à des soins de santé essentiels

 

Plus des trois quarts des jeunes personnes suivies identifiaient l’insécurité comme un problème crucial. Sept d’entre eux ont signalé des incidents dans lequel eux-mêmes ou d’autres rapatriés dans leur entourage avaient été ciblés simplement parce qu’ils étaient des rapatriés. Un jeune particulièrement bouleversé nous a raconté l’histoire suivante :

« Je ne me suis fait qu’un seul ami ici. [...Il] m’avait dit qu’il ne pouvait pas rester, qu’il retournerait en UE. Je lui ai dit de ne pas y aller mais il s’est fait arrêter par les Talibans en route vers l’Iran… et ils l’ont tué car ils ont trouvé tous ses papiers internationaux et sa carte bancaire sur lui. Ils l’ont tué en le décapitant et en laissant sa tête dans la rue. »

Prochaines étapes

Il est nécessaire de conduire de plus amples recherches sur les résultats post-rapatriement afin de produire des données solides sur la réalité du retour pour ceux qui ont vécu au Royaume-Uni en tant que demandeurs d’asile. De telles données sont précieuses, comme en témoigne le fait que le rapport de recherche « After Return » du RSN soit cité dans les directives de l’UNHCR pour évaluer les demandes d’asile afghanes[5], mais aussi par les avocats représentant des anciens mineurs non accompagnés ayant plus de 18 ans aujourd’hui et dont la demande d’asile au Royaume-Uni est toujours en cours d’étude.

Nous espérons que les risques de persécution auxquels se heurtent les jeunes simplement parce qu’ils sont des rapatriés continueront d’être dûment reconnus, indépendamment du contenu de leur demande d’asile initiale. Aujourd’hui, on porte une grande attention à la possibilité de faire venir au Royaume-Uni des mineurs non accompagnés en provenance de Calais et d’autres régions de l’Union européenne. Il est important que toutes les parties prenantes (les décideurs, les acteurs faisant pression pour que le Royaume-Uni fasse venir un plus grand nombre de ces enfants, et les avocats qui les représentent dans le cadre de leur demande d’asile) soient conscients que ces enfants, à moins qu’ils ne bénéficient d’une bonne représentation juridique à la base, puissent finir par vivre les mêmes expériences que ces autres jeunes Afghans ayant été rapatriés contre leur gré.

Il est également important d’aider les jeunes arrivant à la fin du processus d’asile à accéder à un soutien juridique, pratique et psychosocial et à définir des plans de secours, lorsque cela s’avère nécessaire et que toutes autres les possibilités de rester ont été épuisées, en considérant l’éventualité d’un rapatriement forcé. Réunissant les enseignements tirés du soutien aux jeunes arrivant à la fin de ce processus au Royaume-Uni et de leurs expériences après le rapatriement, nous avons créé un guide destiné aux autres praticiens, que nous envisageons comme une première étape pour combler l’écart qui sépare les organisations de réfugiés basées au Royaume-Uni et le secteur du développement international, dans la perspective de mieux soutenir les jeunes qui se trouvent à la croisée de ces deux contextes dans le cadre de leur parcours migratoire[6].

 

Emily Bowerman ebowerman@refugeesupportnetwork.org
Directrice de programmes pour le Refugee Support Network www.refugeesupportnetwork.org



[1] Le terme « expulsion » (« deportation » en anglais) est couramment utilisé en référence à un ordre de départ du pays, mis en application par l’État, d’un non-citoyen. Cependant, il s’agit d’un terme spécifique que les autorités du Royaume-Uni utilisent relativement aux personnes dont le départ du pays est considéré comme relevant de l’intérêt général, souvent après que la personne concernée a été condamnée pour un délit assorti d’une peine de prison. Par conséquent, « rapatriement forcé » (« forced removal » en anglais) est donc le terme privilégié pour parler de ces jeunes Afghans.

[2] Gladwell C (2013) « Plus considéré comme un enfant : du Royaume-Uni à l’Afghanistan », Revue des migrations forcées, no. 44 www.fmreview.org/detention/gladwell

[3] Voir Refugee Support Network (avril 2016) After Return: documenting the experiences of young people forcibly removed to Afghanistan www.refugeesupportnetwork.org/resources/after-return

[4] Les entretiens ont été conduits à Kaboul par le responsable du suivi de RSN et trois autres membres du personnel, qui conduisaient également des visites de terrain en appui au processus de recherche.

[5] UNHCR (2016) UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Afghanistan www.refworld.org/docid/570f96564.html

 

 

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