Dur retour : les risques post-expulsion en Ouganda

La manière dont les choses se déroulent pendant et après l’expulsion de demandeurs d’asile ougandais déboutés par le Royaume-Uni ne fait l’objet d’aucun suivi par les deux pays concernés, en dépit des preuves d’actes de violence et d’infractions graves aux droits humains.

Bien que l’Ouganda soit souvent reconnu comme une source de stabilité dans une région agitée, les infractions aux droits humains y sont monnaie courante, de l’arrestation violente des leaders de l’opposition à la détention de journalistes en passant par la torture de civils par des agents de sécurité[1]. De plus, l’homophobie et la persécution des minorités sexuelles restent répandues en dépit de l’annulation de la loi contre l’homosexualité en 2014. De nombreux ougandais recherchent l’asile à l’étranger, notamment au motif de persécutions basées sur leur opinion politique ou leur orientation sexuelle.

Depuis 2006, le Refugee Law Project (RLP – projet relatif aux droits des réfugiés), un projet de sensibilisation communautaire de l’École de Droit de l’Université de Makerere en Ouganda, contribue à apporter un appui post-expulsion aux ougandais rapatriés, la plupart en provenance du Royaume-Uni. Souvent, des organisations et des acteurs de la société civile dans le pays réalisant l’expulsion informent le RLP qu’une personne a été « expulsée » au que son expulsion est prévue[2]. Ces informations incluent le nom et le numéro de téléphone de la personne concernée, le nom de la compagnie aérienne et l’heure d’arrivée prévue. Dans tous les cas, le consentement de la personne est obtenu avant que ces informations ne soient partagées et, si possible, le RLP établit le contact avec elle avant son départ. Alors que les agents d’immigration ougandais étaient initialement méfiants quant au rôle de RLP dans l’accueil des personnes expulsées, ils reconnaissent aujourd’hui son caractère crucial et orientent même parfois des personnes ayant besoin d’assistance vers le RLP.

Les risques encourus par les personnes expulsées apparaissent dès leur arrivée à l’aéroport, où il est possible que leurs droits soient violés et qu’elles subissent des violences physiques aux mains des agents de l’État, et se poursuivent au cours de leur réunification avec leur famille et leurs amis. Pendant leur réintégration à la société ougandaise, elles peuvent s’exposer à des risques sociaux, économiques et psychosociaux, de même qu’à des persécutions continuelles.

L’arrivée à l’aéroport

« En détresse » et « perturbées » sont deux termes souvent utilisés par les agents d’immigration pour décrire l’apparence des personnes expulsées à leur arrivée. Alors que nombre d’entre elles souhaitent arriver « discrètement », c’est le contraire qui se produit. Après avoir débarqué, une personne expulsée (escortée ou non par des agents de l’État qui les expulse et souvent épuisée, traumatisée et parfois même blessée) est remise au bureau d’immigration pour être interrogée par ses agents. Leurs informations personnelles sont enregistrées puis elles sont soumises à une procédure appelée « interrogatoire de routine », au cours de laquelle les informations relatives à leur expulsion et leurs contacts en Ouganda sont saisies dans la base de données sur l’immigration, à l’aéroport.

Cette procédure pose de nombreux problèmes. Premièrement, elle expose les personnes expulsées, ainsi que leurs contacts, aux risques de détention, de torture et de harcèlement, en particulier lorsque la demande d’asile de la personne se basait sur la crainte d’être persécutée au motif de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle[3]. Deuxièmement, elle traumatise encore davantage les personnes expulsées, dont la majorité ont déjà été mises en détention pendant des semaines ou des mois avant leur expulsion. Enfin, en l’absence de représentation juridique, il est difficile de s’assurer que les agents d’immigration ne recourent pas à la force ou à la coercition lorsqu’une personne n’est pas disposée à parler.

Réunification avec leur famille ou leurs proches

Après l’interrogatoire, les agents d’immigration demandent souvent à la personne expulsée si elle souhaite contacter des amis ou des relations familiales, qu’ils contactent ensuite eux-mêmes en son nom. C’est également à ce moment-là que les agents informent la personne expulsée de la présence d’un représentant du RLP à l’aéroport, avec lequel elle peut s’entretenir. Les personnes expulsées sont généralement réticentes à entrer en contact avec leur famille et leurs amis, et certaines ont même refusé de rencontrer le personnel du RLP, même lorsque notre organisation avait établi un contact initial avant leur expulsion et leur avait donné des garanties.

Cette réticence à contacter leur famille ou leurs amis découle souvent de la peur de mettre en danger ou de décevoir leur famille ou de craintes liées à leur sécurité personnelle. Une femme avait été expulsée de nouveau vers l’Ouganda après avoir fui au Royaume-Uni parce qu’elle avait subi plusieurs attaques lorsque sa famille avait découvert qu’elle entretenait une relation avec une autre femme. Elle ne pouvait pas rentrer dans sa famille et craignait de contacter sa partenaire car cela les mettrait de nouveau toutes les deux en danger. De plus, elle se sentait profondément déçue par elle-même car elle avait l’impression d’avoir laissé tomber sa partenaire (c’est sa partenaire qui avait organisé son départ du pays). Elle est ensuite allée vivre dans une zone reculée où elle pouvait cacher son identité, et elle accédait à l’aide psychosociale fournie par le RLP uniquement lorsqu’il était possible d’organiser discrètement un service de transport aller-retour.

À plusieurs reprises, lorsqu’une personne expulsée avait tenté d’obtenir l’asile au motif de son orientation sexuelle, son histoire avait déjà été publiée dans des journaux ougandais et en ligne au moment où l’expulsion avait eu lieu. Une telle pratique ne pose pas seulement un risque pour ces personnes mais aussi pour les organisations et les agents qui lui portent assistance.

Dans les situations où la personne expulsée ne communique aucune coordonnée ou que ses proches vivent trop loin pour venir la chercher à l’aéroport, c’est en théorie au bureau de l’immigration qu’incombe la responsabilité d’organiser le transport de cette personne jusqu’à la destination de son choix. Toutefois, en pratique, il est rare que les fonds nécessaires soient disponibles. La personne expulsée est alors maintenue en détention par la police, à l’aéroport, jusqu’à ce que les fonds deviennent disponibles. Garder des personnes expulsées dans un centre de détention destiné aux criminels n’est pas seulement inacceptable mais aussi inhumain et dégradant.

Parfois, les personnes expulsées arrivent en mauvaise condition médicale en raison des tortures et des mauvais traitements subis avant et pendant leur expulsion. Malheureusement, dans les cas de violences perpétrées par les escortes du pays procédant à l’expulsion, les agents d’immigration ougandais n’ont pris aucune mesure à l’encontre de ces derniers. De plus, il n’existe aucun mécanisme de réclamation permettant aux personnes expulsées de signaler un recours disproportionné à la force pendant les vols de retour. Pire encore, aucun soin médical n’est dispensé à ces personnes. Dans un cas particulier, une personne expulsée du Royaume-Uni dont les jambes et les bras étaient visiblement enflés en conséquence de menottes trop serrées, dont les lèvres étaient contusionnées suite au coups reçus et dont les cheveux avaient été arrachés sous l’effet de la force utilisée pour la traîner, avait été remise entre les mains des agents d’immigration et, ultérieurement, au personnel du RLP. Les agents d’immigration n’ont adressé aucune protestation ni aucune réprimande à l’encontre des escortes britanniques. Le RLP a dû couvrir les frais médicaux, tandis que le toutes les tentatives d’engager des poursuites judiciaires contre les escortes britanniques ont échoué[4]. Le traitement subi aux mains des représentants du Royaume-Uni constitue un ensemble de violations, tandis que l’inaction des agents publics de l’Ouganda dans de telles situations constitue également une violation du devoir de l’État à remplir ses obligations en matière de droits humains vis-à-vis de ses citoyens.

Réintégration

Il arrive que la réintégration dans la communauté soit extrêmement difficile, en particulier pour les personnes ne disposant d’aucun appui familial. En Ouganda, il n’existe aucun programme soutenu par l’État assurant le suivi ou l’intégration des personnes après leur expulsion, et le RLP est la seule organisation qui leur apporte une assistance juridique et psychologique. Les besoins immédiats des personnes expulsées incluent un endroit où se loger, de l’argent pour subvenir à leurs besoins quotidiens ainsi qu’une assistance médicale pour les personnes blessées au cours de leur expulsion et celles souffrant de problèmes médicaux préexistants. Certaines personnes expulsées souffrent de traumatismes et de dépression, qui peuvent aboutir à de graves problèmes de santé mentale s’ils ne sont pas traités.

Le RLP et certaines organisations de la société civile dans le pays à l’origine de l’expulsion cherchent à maintenir le contact avec les personnes expulsées et leur fournir l’assistance dont elles ont besoin. Cependant, le manque de ressources et les préoccupations relatives à la sécurité du personnel limitent les possibilités. Pour les victimes de violences sexuelles et de torture, le RLP a constaté que l’établissement de groupes de soutien a permis d’apporter un appui utile par des pairs et d’accroître la résilience ; cette approche pourrait être explorée pour les personnes déportées.

Pour certaines personnes déportées, des problèmes de sécurité apparaissent une fois encore. Il est arrivé une fois que le personnel de RLP rencontre par hasard, à l’aéroport, une personne qui avait été expulsée du Royaume-Uni un mois auparavant et qui se dirigeait dorénavant vers un autre pays pour y demander l’asile. Le fait qu’une personne soit disposée à se soumettre de nouveau au processus épouvantable de l’asile et au risque d’expulsion reflète un tableau beaucoup plus sombre des circonstances dans lesquelles elle vivait avant de quitter son pays et après y être retourné.

Conclusion

Pour de nombreuses personnes expulsées, l’avenir est sombre une fois de retour en Ouganda, et les procédures auxquelles elles sont soumises à leur arrivée exacerbe encore davantage cette situation. Le RLP en Ouganda et les organisations de la société civile dans les pays procédant à des expulsions apportent une lueur d’espoir, mais qui risque de s’éteindre en raison de l’insuffisance des ressources et des problèmes de sécurité. De surcroît, un certain nombre de cas ne bénéficient d’aucun soutien, soit parce que les informations sont reçues trop tard ou que les vols arrivent pendant la nuit, ou simplement en raison d’une absence totale d’information. Alors que les États procédant à des expulsions soutiennent que les personnes expulsées ne s’exposent à aucun risque de torture ou d’autres traitements inhumains, les comptes-rendus des personnes concernées prouvent le contraire. Pire encore, ces États ne réalisent souvent aucun suivi des événements post-expulsion, tandis que l’Ouganda ne dispose d’aucun mécanisme officiel de suivi afin d’apporter à ces personnes une assistance qui fait cruellement défaut. La pratique de la déportation et ses ramifications doivent bénéficier de l’attention qu’elles méritent en faisant l’objet d’une documentation continue et systématique. Sinon, les violations des droits humains commises dans ce contexte se poursuivront sans relâche.

 

Charity Ahumuza Onyoin c.ahumuza@refugeelawproject.org
Directrice du Programme d’accès à la justice, Refugee Law Project, École de Droit de l’université de Makerere www.refugeelawproject.org



[1] Commission ougandaise des droits de l’homme (UHRC) 18ème Rapport annuel 2015, p7 http://uhrc.ug/reports et Rapport d’examen périodique universel de l’UHCR, octobre 2016, p6 http://uhrc.ug/uganda-human-rights-commission-upr-report

[2] En règle générale, par le biais du Réseau de suivi post-expulsion (Post Deportation Monitoring Network) ; reportez-vous à l’encadré et à www.refugeelegalaidinformation.org/post-deportation-monitoring

[3]  Dolan C, Schuster L & Merefield M (2012) « The Impact of Deportation: Some Reflections on Current Practice » www.refugeelawproject.org/files/briefing_papers/The_Impact_of_Deportation.pdf

[4] Le RLP sera heureux de recevoir des informations sur les pratiques modèles dans ce domaine, par exemple l’établissement des groupes de travail indépendants ou l’implication des organes régionaux/internationaux.

 

 

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