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Un mot des rédactrices
  • Emily Arnold-Fernández (rédactrice en chef), Catherine Meredith (rédactrice en chef adjointe), Marie Godin et Derya Ozkul (expertes consultantes de ce numéro)
  • May 2024

Les technologies numériques bouleversent nos vies. Les personnes subissant des déplacements forcés les utilisent pour façonner et définir leur parcours migratoire et leur installation dans de nouvelles destinations. Dans le même temps, les technologies numériques sont appliquées à ces mêmes personnes déplacées ou utilisées contre elles dans l’administration publique et le secteur humanitaire.

Les « technologies numériques » évoquées dans ce numéro renvoient à un éventail de technologies qui regroupent les systèmes numériques et le matériel utilisé pour interagir avec eux. La modélisation prédictive complexe, la géolocalisation sur téléphone mobile, l’utilisation et la diffusion des données biométriques, les systèmes financiers dématérialisés et l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la prise de décisions figurent parmi les technologies numériques abordées. Ces technologies tres diverses peuvent tant contribuer a un changement positif qu’etre problematiques. Souvent, les conséquences sur les personnes subissant des déplacements forcés sont difficiles à prévoir, et il n’est pas facile de les qualifier de positives ou négatives.

Dans son avant-propos, l’équipe Services Innovation et numérique du HCR met en exergue les opportunités qu’offrent les technologies numériques et souligne les dangers de ne pas offrir aux personnes déplacées un accès équitable à ces opportunités. Jessica Bither et Jassin Irscheid, de The Robert Bosch Stiftung, nous rappellent que les décisions prises aujourd’hui définiront l’architecture numérique qui affecte la sécurité, la vie privée et la capacité d’action des personnes migrantes. Les auteurs se demandent si nous assumons cette responsabilité de manière adéquate.

Les chercheurs participant à ce numéro interrogent l’arsenal de technologies numériques utilisées par, ou appliquées aux personnes vivant un déplacement forcé. Natalie Brinham et Ali Johar décrivent l’expérience vécue par Jafar Alam avec le système d’identification numérique de l’Inde, où un outil prometteur a été repensé à des fins de persécution. Kinan Alajak et ses co-auteurs évoquent une évolution similaire : les gouvernements instrumentalisent les téléphones mobiles utilisés par les migrants tout au long de leur parcours pour restreindre le droit d’asile. Abril Rios-Rivera, elle, met en évidence, dans ses recherches sur CBP One, l’exploitation des failles du numérique pour limiter l’accès au droit d’asile.

D’autres auteurs traitent du potentiel des technologies numériques et de leur nécessité. Lala Zinkevych se penche sur l’utilisation d’outils numériques pour assurer la prestation de services essentiels, montrant comment trois services dématérialisés ont offert une planche de salut à des Ukrainiens déplacés subissant des violences basées sur le genre. Wala Mohammed décrit l’impact de l’exclusion numérique sur les personnes déplacées au Soudan du Sud, tandis que Saqib Sheik et Muhammad Noor abordent des actions de préservation de l’héritage culturel rohingya par des moyens numériques dans un contexte de déplacement à grande échelle. Marie Godin et ses co-auteurs décrivent l’utilisation de plateformes numériques par des organisations de réfugiés au Kenya pour créer des entreprises et des moyens de subsistance, malgré des obstacles considérables.

De son côté, Nyi Nyi Kyaw propose une version plus complexe des analyses de pouvoir traditionnelles autour de l’utilisation des technologies numériques, en montrant comment les réfugiés en Thaïlande les utilisent à des fins de contre-surveillance et en se demandant si ce modèle pourrait être imité. Julia Camargo et Amanda Alencar remettent en question les idées simplistes sur la compréhension et l’opinion des personnes déplacées concernant la collecte de données biométriques en examinant des réponses de Vénézuéliens déplacés.

Le pouvoir reste un élément de réflexion central pour comprendre comment les technologies numériques sont utilisées, et par qui, dans un contexte de migration forcée. M. Sanjeeb Hossain et ses co-auteurs proposent une étude nuancée du concept de consentement en lien avec les données biométriques des réfugiés rohingyas. Francesca Palmiotto et Derya Ozkul examinent les stratégies et les ressources nécessaires pour remettre en question l’utilisation par les gouvernements de systèmes automatisés dans la prise de décisions relatives à l’immigration et aux réfugiés. Carolina Gottardo et ses co-auteurs préconisent avec force des dispositifs de protection des droits humains afin de limiter les risques dans l’utilisation des technologies numériques, dans le but de favoriser des alternatives à la détention de personnes immigrées. Steffen Angenendt et Anne Koch nous rappellent que la politique peut déterminer les conséquences des prévisions migratoires.

Tous ces articles montrent que le déploiement des technologies numériques n’est pas neutre. Dans un monde où la participation aux systèmes numériques est inévitable, rendre ces systèmes équitables, impartiaux et sensibles aux droits humains, dans la mesure du possible, nous aidera à répondre aux déplacements forcés de manière à améliorer les résultats et offrir davantage de justice aux personnes concernées. Nous espérons que ce numéro contribuera à atteindre ces objectifs.

Avec tous nos vœux de réussite,
Emily Arnold-Fernández (rédactrice en chef), Catherine Meredith (rédactrice en chef adjointe), Marie Godin et Derya Ozkul (expertes consultantes de ce numéro)

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